CHAPITRE 97 La Révolte
CHAPITRE 97 La Révolte
Justo commençait à trouver la situation
insupportable mais heureusement les puissants sont versatiles et il put
retourner tranquillement à ses malades les plus désargentés. Mais le marquis
était si émerveillé qu’il demanda à être le parrain de leur prochain enfant :
Ana. Ils avaient déjà un fils, Luis, qui aujourd'hui travaille à Séville. Et Dulcia
est morte en mettant au monde son troisième enfant : Miguel. Lui aussi vit à
Séville, avec Luis. Ana avait six ans et, à la demande de Justo, je suis venue
m'occuper des trois enfants. Au début, Luis et Ana ne voulaient pas de moi mais
cela n'a pas duré. Je te passe les détails sur leur enfance - je te les raconterai une autre fois. Et
puis les Comunidades ont éclaté.
- Les Comunidades ? J'en ai déjà entendu parler,
je crois.
- Ca ne m'étonne pas. Tolède a été un des foyers
les plus virulents de la révolte. Tout y a commencé et tout y a fini. Le chef
des comuneros était un tolédan, Padilla, et Tolède a résisté longtemps au
roi. Tu comprends, le seul moment où le
roi semble s'intéresser à nous, c'est quand il abesoin d'argent. Alors,
commencer son règne en augmentant les impôts …Si en plus il veut nous imposer
ses flamands qui se conduisent comme en pays conquis et ne respecte pas les
droits des cités... Les Castillans ont toujours été très vigilants et Tolède
est une fière rebelle ! Beaucoup aussi
disaient "Liberté", espéraient obtenir un regard sur les financements
royaux et rêvaient du modèle italien. Le père d'Ana était de ceux là et il y
mettait la même passion qu'à soigner ses malades, c'est tout dire ! Dès mai 1520, Tolède s'est soulevée et a dirigé la
révolte. Quand Padilla a été vaincu à la bataille de Villalar, en Avril 1521,
tout Tolède a pris le deuil, le glas sonnait à toutes les églises ; alors
la veuve de Padilla, Maria Pacheco, a pris la tête de la résistance. Ana pourra
te donner tous les détails : c’est son idole ! En octobre, les délégués ont
signé la paix avec le roi. Mais la ville, menée par Maria, a encore résisté
trois mois et les batailles pour Tolède, en février furent terribles. C'est là
qu'est mort le fils aîné d’Anita ; son mari, lui, avait déjà été exécuté à
Villalar avec les chefs. Finalement, la ville s'est rendue, Maria Pacheco s'est
enfuie au Portugal et nous avons tous craint les réactions du roi, Justo comme
les autres. Tiens je revois encore la scène, comme si j'y étais. Ce jour là
devait être publiée la liste des comuneros exclus du pardon royal. Nous nous
rongions les sangs.
" Mais enfin père, disait Ana, ce n'est pas
un crime d'être attaché à la liberté !
Justo secoua la tête.
- J'ai tout de même combattu les troupes royales,
mon petit. Peut être le roi veut il faire un exemple.
- Dans ce cas, il lui faudra pendre tout Tolède !
Ce serait bien mal commencer son règne.
A ce moment précis, j'introduisis le marquis de
Montemayor. Il était rayonnant.
- Alors ?
- Sa Majesté vient de publier la carte de pardon.
J'ai lu et relu la liste des comuneros à qui il refuse de pardonner. Votre nom
n'y est pas. C'est l'amnistie pleine et entière.
Ana tomba à genoux.
- Merci, mon Dieu.
Nous nous sommes tous signés avec ferveur et nous
avons récité des prières d'actions de grâces.
Justo releva la tête et, tout en regardant le grand Christ de bois qui ornait
l'oratoire, annonça :
- Je vais pouvoir accomplir mon vœu.
- Votre vœu, quel vœu ? demanda sa fille, soudain
inquiète.
- J'ai promis à Saint Jacques de me rendre à
Compostelle si j'étais épargné.
- Voilà qui vous honore, mon ami. Vous allez avoir
tout l'hiver pour préparer votre voyage.
Justo secoua la tête.
- Non. Je veux partir sur- le -champ.
- Sur le champ ! Mais vous n'y pensez pas, père !
Nous sommes déjà fin octobre et bientôt les routes seront impraticables. Sans
compter tous les autres périls.
- Alors que le Seigneur m'a fait cette grâce, tu
veux que je marchande ma peine ?
- Choisir le pire moment c'est un péché d’orgueil ;
c'est Lui donner plus qu'Il ne demande ! protesta encore Ana.
Pour ma part, j'étais tellement abasourdie que je
trouvai rien à dire. Le marquis essaya de dissuader Justo d'une telle folie.
- Ana a raison, mon ami, il ne serait pas
raisonnable de partir maintenant. Attendez la belle saison.
- Ma foi ne raisonne pas, elle n'attend pas, elle
ne compte pas ! s'exclama Justo avec passion.
Le marquis leva les yeux au ciel.
- Mon Dieu, que vous êtes entêté !
- Je ne changerai pas d'avis, martela Justo.
Nous nous sommes tus, car nous connaissions son entêtement.
La première, Ana rompit le silence.
- Vous avez raison, mon père. On ne doit pas
mesurer sa peine quand il s'agit de son salut.
Le visage de son père s'éclaira.
- Enfin ! Tu me comprends, toi.
Ana reprit posément.
- Je vous comprends si bien que je vous
accompagne.
- Quoi !
J'avais beau être habitué aux folies d'Ana,
précisa Isabel, je ne m'attendais pas à cela. Les deux hommes se regardèrent un
instant, ébahis.
- Il n'en est pas question, affirma Justo d'un ton
qui se voulait sans réplique.
- Auriez-vous la bonté de m'expliquer pourquoi ce
qui est bon pour vous ne l'est pas pour moi ?
- Parce que tu as seize ans et que tu ne
supporteras pas les fatigues du voyage, surtout en cette saison.
Ana saisit la balle au bond.
- Attendez le Printemps alors !
Justo les regarda alternativement, furieux.
- Je vous vois venir, tous les deux ! Et bien non,
ça ne marche pas, je ne changerai pas d'avis.
Ana lui adressa son plus joli sourire. Méfiance !
- Mais qui vous le demande ? Dans huit jours,
quinze tout au plus, nous serons prêts à nous mettre en route et je vous
accompagne.
Devant l'air exaspéré de son père, elle ajouta
- Si vous n'acceptez pas, j'irai quand même et
vous serez responsable de ce qui m'arrivera.
- Mais c'est qu'elle en serait capable ! Ana,
c'est du chantage ; tu ne peux pas me faire ça.
Sa fille le regarda bien en face.
- Et vous
croyez peut être que je vais rester à vous attendre, ne sachant ni ce qui vous
arrive, ni ce que vous devenez sans personne pour veiller sur vous ? Merci
bien. Je préfère le rôle d'Antigone à celui de Pénélope.
- Que tu peux être entêtée !
Le marquis se mit à rire.
- Que voulez-vous, mon ami, on est toujours puni
par où on a pêché : votre fille est encore plus têtue que vous. Je crois bien
que vous avez perdu la partie : ce que femme veut, Dieu le veut. Mais puisque
vous êtes aussi fous l'un que l'autre, laissez moi vous aider.
Et comme Justo esquissait un geste pour refuser.
- Je vous en prie, ne me refusez pas ce plaisir.
Vous aurez besoin d'argent pour les aumônes.
Sans laisser à son père le temps de répondre, Ana
prit les devants.
- Je m'occupe des préparatifs du voyage.
Son père acquiesça sans peine, déjà habitué à s'en
remettre à elle pour toutes les nécessités de la vie quotidienne. Elle avait
très vite pris la direction de la maison. Et je l’aidais de mon mieux.
- Maintenant, père, vous devriez aller vous
reposer. Vous n'avez pas dormi depuis trois jours.
- C'est vrai, mon ami. Vous avez mauvaise mine et
vous aurez besoin de forces pour le voyage.
Justo s'inclina.
- Si vous vous y mettez tous les deux...
Il sortit rapidement de la pièce. Le marquis
s'adressa alors à Ana.
- Puisque tu es la plus raisonnable des deux,
viens demain au palais. Nous verrons ensemble ce dont vous pourrez avoir
besoin. Et ton père n'aura rien à dire.
Ana sourit.
- Ne vous inquiétez pas, je pourvoirai à nos
besoins sans lui montrer toute l'étendue de nos largesses.
- Tu as très bien compris le fond de ma pensée. A
demain donc.
- A demain. "
- Elle savait déjà ce qu'elle voulait, remarqua
Pedro en souriant.
Isabel leva les yeux au ciel.
- Santa Madre ! Elle l'a toujours su. Mais ce que
je vais te raconter maintenant, nous ne l'avons su que beaucoup plus tard,
heureusement. Tu vas voir.
"Le même soir, alors qu'elle fermait portes et
fenêtres, elle entendit frapper à la porte du dispensaire. Par le judas, elle
reconnut son ami Diego, le meilleur lanceur de navajas de Tolède. Justo l’avait
soigné d’une méchante blessure et ils avaient sympathisé. Elle ouvrit aussitôt la porte : Diego
s'inclina galamment.
- Alors, il paraît que tu pars en pèlerinage ?
Elle le regarda, stupéfaite.
- Comment le sais-tu ? Cela s'est décidé il y a
quelques heures à peine.
- Cela m'a suffi.
- Tu es toujours l'homme le mieux renseigné de
Tolède, constata-t- elle. Oui, je pars à Saint Jacques avec mon père.
Diego l'observa un instant.
- Loin de moi l'idée de mettre ta foi en doute ou
d'assombrir votre enthousiasme, ma mignonne, mais tous les pèlerins ne sont pas
animés du même zèle et je n'aimerai pas que tu fasses de mauvaises rencontres.
- Nous partons en groupe, tu sais. Il y a d'autres
fous pour choisir la pire saison.
- Les plus grands bandits ne sont pas forcément
sur les chemins, ma belle. Tiens, par exemple dans une auberge, quand tu
demanderas du vin à emporter, méfie toi : le patron t'en feras goûter de
l'excellent et te refilera de la piquette. Goûte le avant de partir et fais -le
changer si nécessaire.
Mi -intriguée, mi- amusée, Ana questionna.
- Où as tu appris tout cela, Diego ?
- J'ai beaucoup lu... répliqua le jeune homme avec
un sourire en coin.
Ana secoua la tête.
- Je vois. Escroquer des pèlerins, tu n'as pas
honte !
Diego prit un air faussement contrit.
- Mea culpa. Mea maxima culpa. Mais sache aussi,
ma petite, que pour certains, cela tient plus du voyage d'agrément que de
l'acte de foi. Ils mènent tel train et transportent une telle fortune que c'est
une vraie provocation !
- Et un bon castillan ne résiste pas aux
provocations, je sais. Continue.
- Quand on nourrira les chevaux, vérifie que la
mesure d'avoine est bien pleine et pas aux trois quarts vide ou remplie de
n'importe quoi.
- Le cheval, l’avoine ; je m'en souviendrai. Mais
je ne sais pas si nous aurons des chevaux. Enfin, c’est toujours bn à savoir.
- Maintenant, le plus important, peut- être.
Il sortit un poignard.
- Il faut que tu saches t'en servir. On ne sait
jamais.
Ana frissonna en voyant la lame luire faiblement
sous la lune.
- Je ne saurai jamais.
- Ne dis pas de bêtises. Avec de l'entraînement,
tu y arriveras très bien. Tiens, prends- le.
Ana le saisit par le manche, lame vers le bas.
- Non, pas comme ça. La lame vers le haut. Tiens-le
fermement.
Très attentive, Ana lui obéit.
- Voilà, c'est bien. Et maintenant écoute. Un coup
se donne toujours de bas en haut pour que la force de ton bras accompagne le
coup au lieu de la bloquer. Tu comprends ?
Ana hocha la tête.
- Alors, essaie. C'est ça. Recommence. Le pouce
bien à plat. Plus rapide.
Docile et concentrée, la jeune fille maniait le
poignard avec une habileté croissante.
- C'est très bien. Tu es douée.
La jeune fille fit la moue.
-
Je ne suis pas sûre que ce soit un compliment.
Diego se mit à rire.
- Voilà ce que c'est que d’avoir de mauvaises
fréquentations !
Puis, redevenu sérieux.
- Habitue toi aussi à dégainer et à frapper sans
regarder, le plus vite possible. Il ne faut pas quitter ton adversaire des
yeux, qu'il ne se doute de rien.
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