CHAPITRE 93 Espoir
CHAPITRE 93 Espoir
Ana est en
train de vérifier les coutures d’un manteau quand Isabel introduit Clara.
- Quelle bonne surprise ! Qu'est-ce qui t’amène ?
J’espère que Don Esteban n’est pas malade ?
- Non tout le monde va très bien. Surtout avec tes
merveilleuses confitures de prunes. Don Esteban en raffole. Et Luisa aussi. C’est
ton indien qui a récupéré les bassines, à ce qu’on dit ?
- Heureusement. Luz n’était pas vraiment décidée
me les rendre.
Clara sourit.
- A vrai dire, j’aurai besoin de tes services. Je
ne me sens pas très bien. Et j’en ai assez que les voisines me donnent toutes
des conseils différents.
- Pourtant, je ne suis pas la seule guérisseuse de
Tolède, tu sais. Si tu veux que tes voisines te fichent la paix, tu peux aller
en voir une autre, qui leur plaise davantage.
- Merci bien. La première que j’ai vue m’a dit que
la stérilité était une punition divine, la deuxième l’œuvre du diable et la
troisième m’a conseillé un pèlerinage.
- C’était la plus intelligente.
- Peut-être, concède Clara. Mais je ne suis
pas prés de retourner chez elles. Mais je te dérange peut-être ?
- Pas du tout. Passons dans ma chambre.
Clara s’allonge sur le lit et Ana s’assoit à
côté d’elle.
- Qu'est-ce que tu ressens ?
- Comme une gêne diffuse. Et puis j’ai mal au
cœur. Placido prétend que j’ai mangé trop de poires.
- Je vois.
Ana examine attentivement la jeune femme, lui
palpe le ventre et finit par déclarer.
- A mon avis, les poires n’y sont pour rien.
- Vraiment ?
- Non. Le responsable c’est plutôt ton mari.
- Mon mari ? Pourquoi ?
- Parce que tu es enceinte.
- Enceinte, moi ? Voyons, c’est impossible.
- Pourquoi ? Placido serait il moins assidu ?
Clara
rougit.
- Oh non, au contraire mais tu sais bien que
je suis stérile.
- Je sais aussi que tu es enceinte. Et d’au
moins deux mois. Tu t’en serais rendue compte toi même si tu n’étais pas si
obsédée par ta prétendue stérilité.
- Mais enfin Ana, cela fait onze ans que nous
essayons sans succès.
- Et bien, il faut croire que vous y avez mis
un peu plus d’ardeur, que Placido était en grande forme ou que Dieu a pensé que
vous aviez assez attendu.
Incrédule, Clara répété sans comprendre.
- Enceinte, moi ? Enceinte...
Puis elle ajoute, effrayée.
- Tu es sûre de ne pas te tromper ?
- Certaine. Et ce sera visible dans très peu
de temps.
- Visible ...
Soudain, elle s’inquiète.
- Mais à mon âge, ce n’est pas dangereux ?
- Évidemment, c’est plus embêtant qu’à vingt
ans. Mais je pense qu’il suffit de te
reposer. Tu dois absolument éviter toute fatigue pendant ta grossesse. Il
faudra que tu prennes une servante.
- Une servante ? Et Don Esteban, que va-t- il
devenir ?
- Lui aussi devra trouver une autre servante.
De toute façon, quand le bébé sera là, il accaparera tout ton temps. Alors, autant qu’il s’y fasse tout de suite.
- Mais que dois- je faire alors ?
- Tu vas lui préparer une belle layette. Tu peux coudre mais évite à tout prix de
filer. Tu l’étranglerais avec le cordon ombilical.
Clara se lève comme une somnambule et porte
la main à son ventre puis à sa tête.
- Un bébé... un bébé ! Il faut absolument que
je prévienne Placido.
- Je -t-’accompagne. A cette heure -ci, il
doit être à son cabinet.
Placido reçoit un client plutôt revêche quand
la porte de son bureau s’ouvre brutalement.
- Clara ! Qu'est-ce que ...
- J’attends un enfant !
Placido ouvre la bouche deux ou trois fois,
déglutit avec peine et interroge d’une voix blanche :
- Qu'est-ce que tu dis ?
Clara lui saute au cou.
- J’attends un enfant. Il naîtra pour la
saint Jacques.
Ana s’est approchée.
- Pour la date, je peux me tromper. Mais pour
le fait principal, aucun doute.
Placido respire à petits coups, prend sa
femme dans ses bras et répète, émerveillé :
- Un enfant, un petit, un enfant à nous.
Il se tourne ver son client qui attend
patiemment.
- Un enfant !
Vous vous rendez compte, un enfant ! Nous allons avoir un enfant !
- Toutes mes félicitations.
Puis il prend sa femme par la main et se
précipite au dehors. Le client se tourne
alors vers Ana, un peu interdit.
- Mais qu'est-ce qu’il fait ?
- Je crois qu’il veut prévenir tout le monde.
Cela fait si longtemps qu’ils attendent.
L’homme se lève.
- Je crois que je ferais mieux de revenir
plus tard.
- Je le crois aussi, señor.
L’homme hoche la tête et sort à petits pas.
Un peu étonné, Don Esteban, qui plie des
chasubles avec Luisa, voit arriver Placido et Clara, un peu essoufflés, les
yeux brillants.
- Et bien, qu'est-ce qui vous arrive, les
enfants ?
Placido lui lance un regard triomphant.
- Clara attend un enfant.
De saisissement, Don Esteban lâche la
chasuble que Luisa attrape au vol.
- Un enfant ?
- C’est merveilleux. Ainsi mes prières ont
été exaucées.
Luisa croit bon alors de rappeler sa
présence.
- Tu vas avoir un petit bébé ?
Clara s’agenouille devant l’enfant.
- Oui, Luisa. Un beau petit bébé.
- Placido a bien travaillé, alors.
Interloqués, les adultes échangent des
regards étonnés. C’est au tour de Don Esteban d’interroger.
- Tu sais comment on fait les bébés, Luisa ?
- Bien sûr. Il faut que le papa couche avec
la maman. La petite graine passe de son ventre dans celui de la maman et le
bébé pousse pendant neuf mois. C’est pas sorcier, conclut elle avec un air
angélique.
- Mais d’où tiens-tu toute cette science ?
interroge encore Don Esteban, éberlué.
- C’est facile. Un jour, en t’attendant à
l’église, j’ai vu deux chats. Enfin un chat et une chatte. Le chat montait sur la chatte et il y
allait de bon cœur, je te jure. Moi, j’avais peur qu’il lui fasse mal mais
Manuel est arrivé et il m’a expliqué. Il a dit que le chat avait l’air en
pleine forme et que la chatte aurait bientôt de beaux petits chatons. Mais les
femmes en font moins que les chattes. D’habitude, un, ça leur suffit. Elles
sont pas aussi fortes.
Les adultes échangent un nouveau regard puis
sont pris d’un fou rire inextinguible.
- J’ignorai que Manuel était aussi bon
professeur, hoquette Placido.
- C’est-ce qu’on appelle une leçon prise sur
le vif, ajoute Don Esteban, hilare.
- Encore heureux qu’il se soit agi de chats,
s’exclame Clara.
Enfin
ils reprennent leur souffle.
- Ton père sait cela, Luisa ? interroge Don
Esteban
L’enfant écarquille les yeux.
- Bien sûr. Comment tu crois qu’il m’a faite
avec maman ?
Don Esteban lève les yeux au ciel.
- Y a plus d’enfant ! Non je veux dire : il
sait que tu es au courant ?
- Je n’en sais rien. On n’en a pas encore
parlé.
- Je m’en doute.
Puis il se tourne vers le jeune couple.
- Ca va être facile de lui expliquer.
Heureusement, Rafael et Lila ne prirent pas
la chose au tragique et se trouvèrent même assez satisfaits que l’enfant trouve
cela si naturel. Cela leur éviterait bien des questions embarrassantes à
l’avenir !
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