A SUIVRE Le Voyage à l\'envers

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CHAPITRE 71 Chasse à l'homme

CHAPITRE 71 Chasse à l'homme

La soirée tire à sa fin. Domingo baille à s’en décrocher la mâchoire.

- Je crois que je n’aurai pas besoin qu’on me berce cette nuit, affirme-t- il

- Aurais-tu trop travaillé ? le taquine Ana.

- Ca, ça m’étonnerait, ironise Isabel.

Domingo prend un air outragé et se retire avec toute la dignité dont il est capable.  Peu de temps après, tout le monde en fait autant sans penser un seul instant que la nuit pourrait être agitée.

Ana dort paisiblement quand des coups violents la réveillent. Encore toute engourdie, elle tend l'oreille. Pas de doute, on frappe à la porte. Elle allume une bougie, se lève, passe une robe d'intérieur. Sur le seuil, elle trouve Isabel, une bougie à la main. Elles descendent l'escalier et, en passant devant la chambre de Domingo, elle remarque par la porte entrouverte que le jeune garçon est seul. Lui aussi commence à s'éveiller. Tout à coup, l'absence de Pedro lui paraît infiniment suspecte. Ana regarde par le judas et aperçoit deux alguazils à l'aspect peu engageant.  Les coups redoublent. Sur un geste d'Ana, Isabel ouvre. Aussitôt, deux silhouettes massives s'encadrent dans la porte.

- Que se passe--t-il ? La ville est en flammes ? On nous attaque ? Le Tage est en crue ?

Les deux hommes se font rassurants.

- Rien de tout cela, señora. Apaisez-vous. Vous voudrez bien nous excuser mais nous poursuivons un dangereux criminel. Un certain Ramirez a été assassiné à deux rues d'ici.

- Et vous pensez sans doute que je commandite tous les crimes perpétrés à Tolède ? Mille mercis, messieurs, mais cette semaine, avec cinq meurtres et quatorze vols, j'ai assez travaillé.

Les alguazils échangent un regard ennuyé.

- Ne vous fâchez pas, señora, mais nous l'avons perdu non loin de chez vous.

- Ca prouve seulement qu'il est plus malin ou plus rapide que vous. Si chaque fois qu'un homme se fait assassiner à Tolède, vous débarquez chez moi, les nuits risquent d'être courtes !

L'alguazil sourit :

- C'est que cet homme faisait partie de l'expédition glorieusement conduite par Don José.

- En ce cas, c'est lui que ça regarde, coupe Ana. Pour ma part, je ne connais personne de cette expédition. Si vous voulez des renseignements sur ce ...Ramirez, adressez vous à Don José ou mieux faites la tournée des tavernes. Je me suis laissé dire que ce genre de personnages fréquentait beaucoup les tavernes. Ici, c'est une maison honnête. Bonsoir !

Elle tente de refermer la porte mais l'alguazil la retient de la main et du pied.

- Mille excuses, señora mais ce n'est pas vous que nous voulons voir. C'est votre indien.

Ana ouvre de grands yeux étonnés.

- Pedro ? Mais que lui voulez vous ?

- Nous pensons qu'il pourrait être notre homme

 - L'avez- vous reconnu ? interroge anxieusement Ana.

- Pas positivement, la nuit est trop noire. Mais on dirait bien sa silhouette.

- Sa silhouette ! C'est pour une silhouette que vous réveillez toute la maisonnée ! Et puis d'abord, pourquoi lui ?

- Peut être a- -t- il voulu se venger.

- Se venger ? Je ne comprends pas. Mais en attendant, entrez. Je ne tiens pas à ce qu'on vous voie devant chez moi à deux heures du matin.

Les deux hommes obéissent promptement et Isabel referme soigneusement la porte.   

- Je ne comprends toujours pas pourquoi Pedro aurait pu vouloir se venger, reprend Ana.

- C'est pourtant simple.

- Dites tout de suite que je suis stupide ! coupe Ana, vexée.

- Oh señora, je ne me permettrais pas. Mais vous vivez un peu retirée et ne savez peut être pas ce qui se dit.

- Et qu'est-ce qui se dit ?

- Cet indien, Pedro n'est qu'un sauvage. Il n'obéit qu'à ses instincts. Il considère peut être les membres de l'expédition comme ses ennemis. Il ne connaît pas les lois de la guerre.

- J'avoue que moi non plus, assure Ana.

- Bref, nous voudrions voir Pedro. Comme j'ai déjà eu l'honneur de vous le dire, nous avons retrouvé le corps d'un certain Ramirez.

Ana se signe gravement ; tous l'imitent.

  - Qu'il repose en paix.

Elle joint les mains, baisse la tête et murmure une courte prière. Enfin elle relève la tête.

- Mais, ajoute--t- elle sentencieusement, qui a pêché par l'épée périra par l'épée. A-t- il été volé ?

- Nous n'en savons rien mais il n'avait plus un sou quand nous l'avons trouvé.

- Auri sacra fames, cite Ana avec conviction.

Silencieux jusque là, le deuxième alguazil demande.

- Pedro n'est pas là ? Je ne le vois pas. C'est curieux avec le bruit que nous faisons.

- Il a peut- être le sommeil lourd. Car je ne sache pas qu'il soit ressorti. Voyons. Il est resté toute la journée avec nous. Nous avons dîné et fait la veillée. Puis nous sommes allés nous coucher.  Après, seul Domingo pourra vous dire ce qui c'est passé car ils partagent la même chambre.

- Tiens, tiens. Comme c'est intéressant. Alors où est- il ?

- Dans la chambre, bien sûr, grommelle Domingo. Il a un sommeil de plomb. Le matin, c'est toujours moi qui le réveille. Et en plus, il ronfle ! Difficile d'ignorer sa présence !

Le plus âgé des alguazils sourit mais son sourire est plus inquiétant que rassurant.

- Si tu allais le chercher, petit ? Nous aimerions beaucoup lui parler.

Interdit, Domingo regarde Ana.

- Et bien Domingo, qu’attends-tu ? Va voir si tu peux le réveiller.

Pendant que Domingo se dirige vers la chambre, Ana demande aux alguazils.

- Vous pensez vraiment qu'il a pu faire le coup ? C'est un garçon si doux et si obéissant.

Les alguazils se regardent.

- On voudrait pas vous décevoir, señora, mais c'est pas l'avis de tout le monde. Il est plutôt craint sur la place de Tolède.

- Voilà qui est extraordinaire. Mais cela m’étonnerait beaucoup qu'il soit coupable cette fois ci car il ne nous a pas quittés.

- Vraiment ? demande le plus jeune.

Ana tressaille sous l'offense.

- Mettriez-vous ma parole en doute, messieurs ? Mon parrain, le marquis de Montemayor, sera charmé de l'apprendre !

Visiblement très ennuyé, le plus âgé assure :

- Nous n'avions aucunement l'intention de vous offenser, señora mais le coquin a pu vous abuser. D'ailleurs, il tarde un peu trop à mon goût.

Ana essaie en vain de réprimer les battements de son cœur. Elle commence à être à court d'idées et ne pourra pas retenir plus longtemps les alguazils. Tout à coup, la porte s'ouvre et Domingo paraît, accompagné d'un Pedro mal réveillé.

- Qu'est-ce qu'il y a ? demande l'indien en réprimant un bâillement.

- Où étais-tu ? demande l'alguazil d'un ton rogue.

Pedro lui lance un regard lourd de reproches.

- Dans mon lit. Et j'aimerai bien y être encore.

- Pourquoi as- tu tant tardé à venir ?

- A cause de cet imbécile, dit-il en désignant Domingo. Je dors nu et il m'avait caché mes vêtements.

- Encore ! s'exclame Ana. Domingo, tu pourrais varier un peu tes plaisanteries. Cela devient lassant !

Penaud, le gamin baisse le nez.

- Tu mériterais...tu mériterais...

Désespérant de trouver un châtiment approprié, elle se tait.

Amusé l'alguazil reprend.

- Il est donc impossible que Pedro ait fait le coup.

- C'est ce que je vous dis depuis le début. remarque Ana d'un ton aigre.

L'alguazil s'incline devant elle.

- Mille excuses, señora mais nous n'avons fait que notre devoir.

Ana s'adoucit et lui décoche un charmant sourire.

- Soit, je vous pardonne et veux bien oublier cette histoire et ma nuit gâchée.

Les deux hommes n'insistent pas, se confondant en excuses et faisant mille courbettes, ils disparaissent bientôt dans la nuit noire. Ana les écoute s'éloigner puis referme soigneusement la porte.

- Assez d'émotions pour cette nuit. Allons-nous coucher.

Pedro hésite, se mord les lèvres et finit par demander, presque brutalement :

- Pourquoi as-tu menti ?

Ana relève la tête et le regarde bien en face :

- J'ai menti, moi ?

- Vous savez tous que je n'étais pas ici.

Ana ne répond pas mais Domingo, furieux, lance :

- Tu ferais mieux de remercier Ana au lieu de l'interroger !

 Sans s'émouvoir, Ana  fixe de nouveau l'indien.

- Disons que je n'ai pas l'habitude de pourvoir les prisons de Tolède. Mais je n'ai jamais eu aussi peur ni prié avec tant de ferveur. Tu es passé par la fissure du mur, celle qui est caché par un laurier ?

Après un moment d'incertitude, Pedro hoche la tête.

- Il entrait par la fenêtre quand je suis allé le chercher, dit Domingo.

- Je crois bien que je n'ai jamais été aussi soulagée qu'en te voyant arriver.

Mais Pedro n'a pas l'air satisfait. Elle explique.

- D'abord, je ne tiens pas à ce qu'on dise que j'héberge un meurtrier. On aurait vite fait de m'accuser de complicité.

- Et c'est-ce qui t'arrivera si tu continues comme ça, menace Isabel, tremblante.

Ana sourit :

- Depuis le temps que tu mes prédis des catastrophes, rien n'est encore arrivé. Mais je ne veux pas que nous nous querellions encore une fois.

Puis, se tournant vers Pedro.

- J'ai appris à me méfier de la justice des hommes. Seul Dieu peut te juger. Personne d'autre n'en a le droit. Et surtout pas ceux qui t'ont poussé au crime. Car c'est bien toi qui as tué ce Ramirez, n'est-ce pas ?

Pedro tressaille :

- Que veux-tu dire ?

  -  Je suppose que la mortalité va encore augmenter chez les membres de cette funeste expédition. Tu ne m'as jamais rien raconté mais je sais comment ils traitent ceux qui leur résistent. J'ai entendu tant de récits et vu tant de blessés.

Sa voix s'est faite lasse et l'étonnement de Pedro grandit.

- Les hommes ne pensent qu'à la mort ...

Elle baisse la tête puis la relève, animée d'une énergie nouvelle, superbe.

- Moi, j'aime la vie ! Je n'allais pas risquer la tienne pour un inconnu. Qu'il repose en paix et que Notre Seigneur lui pardonne ses fautes et l'accueille en son Paradis.

Puis elle ajoute, presque rieuse :

-Seulement, la prochaine fois, ne te fais pas prendre. Les alguazils finiraient quand même par comprendre et je ne pourrais plus rien pour toi.

Pedro répète, incrédule

- La prochaine fois ! Tu penses qu'il y aura une prochaine fois et tu ne diras rien ?

Ana secoue la tête.

- Tu es vraiment difficile à convaincre. Bien sûr, je pourrais te dire que tu risques ta vie et que c'est peut-être cher payé mais tu es seul juge. Je pourrais aussi te dire que la mort n'efface pas la mort mais tu ne m'écouterais pas. Que veux-tu donc que je fasse ? Te dénoncer ? Je ne t'ai pas sauvé pour te perdre. C'est une affaire à régler entre eux et toi et surtout entre Dieu et toi.

Pour une fois, on peut lire les sentiments de Pedro sur son visage : l'ébahissement le plus complet.

- Si Dieu permet que tu réussisses, c'est peut –être qu’il veut punir ces hommes.  Peut -être n'es- tu qu'un instrument entre ses mains. Alors qui suis-je pour m'en mêler ?

Redevenue grave elle le regarde calmement :

- Rappelle-toi seulement ce proverbe : qui veut se venger doit s'attendre à creuser deux tombes.

Domingo, qui, de nouveau , baille à s'en décrocher la mâchoire, déclara bientôt :

- Je ne tiens plus debout ; je vais me coucher.

- Nous allons tous nous coucher, assura Ana, moi aussi je tombe de sommeil.

Bientôt toute la maison dort paisiblement de ce sommeil qu'on appelle abusivement du juste


26/03/2009
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