A SUIVRE Le Voyage à l\'envers

A SUIVRE     Le  Voyage à l\'envers

CHAPITRE 70 La vengeance de Manuel

CHAPITRE 70 La vengeance de Manuel

Manuel sifflote gaiement, les mains dans les poches, en traversant le Zocodover. Sous un porche, non loin de là, le Borgne et ses acolytes discutent âprement, sans doute pour préparer un mauvais coup. En les apercevant, le jeune homme a un large sourire et s’approche d’eux.  Intrigués, les brigands lèvent les yeux, méfiants.  Manuel les salue profondément, à sa manière un peu bouffonne et tire de sa poche une bourse rondelette qu’il leur tend.

- Où t’as eu tant d’argent, toi ? Et pourquoi tu nous le tends ? grommelle le Borgne.

- Question numéro un : hier soir, aux cartes, j’ai plumé un pigeon bien dodu ; question numéro deux : nous sommes aujourd’hui la Saint Michel.

- Vois pas le rapport !

- C’est pourtant simple : n’est-ce pas à la Saint Michel que les dettes doivent être réglées, les contrats révisés ?

- Et alors ? J’ai pas l’habitude de payer mes dettes, éructe le brigand

Manuel soupire, désabusé.

-  Ce qui prouve tes bons principes. Mais oublies -tu que Juana a une petite dette envers moi et que, même si j’ai décidé de lui faire crédit en la faisant payer un peu à chaque fois, je n’ai pas l’intention de laisser passer une seule échéance ?

Le Borgne a un sourire mauvais.

- Je vois, je vois. Mais je te trouve quand même bien généreux. C’est trop pour une nuit.

- Serais tu devenu honnête, par hasard ? demande Manuel, suave.

- S’il l’est devenu, lance un homme, c’est vraiment par hasard !

Furieux, le Borgne lui envoie une solide bourrade qui envoie l’homme à terre. Sentant une bagarre poindre, Manuel pose la main sur le pommeau de son épée.

- Messieurs, voyons, restons sérieux. J’ai une petite discussion avec le Borgne que j’aimerai terminer, s’il vous plaît. Après, vous vous étriperez au grand plaisir de tout le monde mais de grâce, laissez-moi terminer.

- Qu'est-ce qu’y dit ? marmonne l’homme

- Tu nous laisses causer et tu la boucles ! répète Manuel

L’autre hausse les épaules et le Borgne reprend

-  Pourquoi tant de fric ? Où est l’entourloupe ?

- Pas d’entourloupe. Seulement, après la nuit qu’elle va passer, elle aura bien besoin de deux jours de repos. Alors je te paie aussi ces deux jours.

- Après la nuit qu’elle va passer ? répète Le Borgne. Tes trucs romains ?

Manuel hoche la tête.

- Attention, hein, poursuit le Borgne. Pas de traces et qu’elle puisse encore tapiner !

Manuel hausse les épaules.

- Pour qui tu me prends ? Je sais doser et en plus, moi aussi j’ai envie de recommencer.

- Tu la hais tant que cela ?

Les yeux du jeune homme virent au noir.

- Je n’aurais pas trop de plusieurs nuits pour mener à bien mon projet. Et je tiens à la garder en vie jusqu’à   Pâques au moins.

- Mais qu'est-ce que tu vas lui faire ? interroge un homme.

Manuel lui lance un regard moqueur.

- Tu me prends vraiment pour un idiot ? Tu t’imagines peut-être que je vais te révéler tous mes secrets, comme ça, gratis ? La seule chose que je peux vous dire c’est qu’elle n’aura pas un seul pouce de peau qui ne la fasse hurler.

- Vrai ?

- Et quand je dis un seul pouce, c’est à l’intérieur comme à l’extérieur.

Les hommes éclatent de rire.

- Tu pourrais quand même nous mettre sur la piste ! insiste le Borgne.

Manuel soupire.

- D’accord. Et bien, il y a les techniques, les accessoires et les onguents. 

- Les onguents ? Qu'est-ce que c’est que ce truc ?

- Des herbes et des pommades. Suffit de les mettre où il faut. Tu veux un dessin ?

Les hommes sifflent, admiratifs.

- Maintenant, mes tous beaux, rêvez bien là dessus. Le devoir m’appelle.

- T’as pas peur que Pedro t’en empêche ?

- Pedro et moi avons une petite discussion ce matin, lance négligemment le bretteur.

- Et alors ?

- Alors, nous avons conclu un marché : on s’en occupe tous les deux mais chacun à sa manière !

Tous éclatent de rire.

-  Bon, c’est pas tout ça, j’y vais, déclare Manuel.

- On peut t’accompagner ? demande le Borgne, la mine gourmande.

- Et pourquoi pas, j’aurai peut-être besoin d’aide !

- On croyait que t’étais un grand garçon ! s’esclaffe un homme

- Imbécile ! Pour lui faire monter l’escalier et la jeter dans la chambre, évidemment !

La mancebia n’est pas bien loin et un joyeux cortège se forme rapidement derrière Manuel.  Manuel ne tarde pas à repérer sa proie qui fait les cent pas en attendant le client.  Le Borgne la siffle :

- Eh, Juana, regarde le client que je t’amène !

La jeune femme se retourne et pâlit de terreur.

- Tu ne vas pas faire ça ! supplie t elle. Pitié !

- C’est un client comme un autre ! Il te veut pour la nuit et il t’aura !

Juana tombe à genoux et se tord les mains.

- Pitié, gémit elle, pitié ! Tu connais sa cruauté ; je ne vais pas m’en remettre.

- Mais si, on te laisse deux jours, ricane le Borgne.

- Deux jours ?

- Il a payé deux jours justement pour que tu te remettes.

Manuel, l’oeil mauvais, prend alors la parole.

- Il te faudra bien ça, chienne.  Mais ça te suffira, tu verras. Je tiens à me réserver d’autres plaisirs.  Maintenant, assez discuté, on monte.

Juana s’effondre.

- Non, non, je ne veux pas ! hurle-t- elle

Manuel la prend violemment par le bras et la relève sans ménagement. Éperdue, la jeune femme cherche des yeux un soutien mais toute l’assemblée, hilare, contemple la scène.

- Tu tiens vraiment à ce que je commence en public ? lance Manuel

Les yeux agrandis d’horreur, Juana recule à petits pas vers la porte.

- Allez, plus vite ! grogne le Borgne.

- On a toute la nuit, réplique Manuel, et tant pis pour elle si elle s’écorche sur les marches de l’escalier. Ca fera un bon début !

Désespérée, Juana monte lentement les marches comme celle d’un échafaud. Arrivée tout en haut, elle lance un denier regard suppliant au Borgne mais celui ci se contente de ricaner. Manuel ouvre la porte, la pousse brutalement à l’intérieur et se retourne vers ses compagnons.

- Désolé, messieurs mais il est des choses qu’on ne fait pas en public. Vous devrez vous contenter d’écouter.

Aussitôt, il pénètre à son tour dans la pièce et tire vivement le verrou.  Le Borgne colle son oreille à la porte et écoute avidement.

- Maintenant, chienne, à nous deux ! entend il. D’abord, afin de t’ôter tout espoir, je vais fermer les volets et bien les coincer. Quant à la porte, tu peux voir que j’en garde la clé. Personne n’entrera, je te le jure. Et si quelqu'un essayait, je te jure bien qu’il descendrait l’escalier plus vite qu’il ne l’a monté et pas forcément en un seul morceau !

Puis des bruits violents, des cris, des larmes.

- Qu'est-ce qu’y fait ? interroge un homme car il n’est nul besoin de coller l’oreille contre la porte pour suivre les événements.

- On dirait qu’il la poursuit dans toute la pièce !

- Regarde par la serrure !

- Impossible, il l’a bouchée !

- Y pense vraiment à tout !

Soudain un bruit violent les fait sursauter.

- Pas possible, il l’a jetée sur le lit !

Des hurlements suivent bientôt.

- Tu n’as pas le droit ! Détache-moi ! Tu me fais mal !

- Te détacher, pourquoi ? C’est bien mieux comme ça ! Au moins, tu as la bonne position. Et puis tu m’as assez fait courir comme ça. Là, je t’ai vraiment sous la main. Enfin, sous la main, je me comprends.  Et je te préviens, plus tu te débattras, plus ce sera douloureux.

-  C’est trop serré, gémit elle, ça me déchire la peau...

-  Y a autre chose qui va te déchirer, ma belle !

Les hommes, la mine gourmande, étouffent leurs rires pour mieux entendre. Mais à l’intérieur, le spectacle est tout autre.  Manuel et Juana, debout sur le lit, main dans la main, sautent joyeusement sur le matelas. Au bout d’un moment, ils se laissent tomber sur le lit.

- Tu tiens vraiment à ta robe ? chuchote Manuel.

- Tu plaisantes ? Depuis le temps que j’en réclame une autre au Borgne ! répond Juana sur le même ton.

- Alors on y va ?

- On y va !

Manuel saisit le corsage et tire dessus de toutes ses forces pendant que Juana hurle de son mieux.

- Ce n’est pas encore le moment de hurler, ma belle, lance Manuel, ce n’est qu’un début.

Et plus bas.

- Reprend un peu ton souffle, pleure par exemple. Mais si tu prends ta scène trop haut tout de suite, tu auras beaucoup de mal à la monter. N’importe quel comédien te le dira.

- Je me demande bien pourquoi tu as quitté le théâtre. Tu es vraiment doué.

- Justement. J’étais trop bon et pas assez payé. Il faut rattraper le coup. Qu’ils en aient pour leur argent.

- Quand je pense que tu as payé pour ça, souffle-t- elle

- D’abord, ça te fait deux jours de repos et ensuite j’ai bien l’intention de tout récupérer, intérêt et principal après   Pâques.

Juana soupire ;

- Don Esteban m’a dit qu’il n’y avait toujours rien.

- Non hélas, mais on parlera plus tard. Continuons.

Il reprend d’une voix forte.

- Inutile d’ouvrir les yeux comme ça. Tu verras tout et tu sentiras tout, crois moi.

- Pitié, Manuel, pitié !

- Pitié, tonne le jeune homme ? Pour une pareille traînée ! Tu veux rire ! 

- Alors, prend- moi, mais tout de suite et qu’on en finisse !

- Tu oublies que j’ai toute la nuit, ma belle et je veux prendre mon temps. Je veux que tu aies peur, tu entends ! Je veux que tu crèves de peur !

- Mais pourquoi, pourquoi ?

- Peut-être pour la même raison que le boucher attendrit sa viande, pour -t-’assouplir et te dresser !

De l’autre côté de la porte, les hommes apprécient en connaisseurs. Ils se sont assis sur les marches pour être plus à leur aise et suivent le spectacle avec délectation.

- On dirait une araignée qui tourne autour d’une mouche, déclare le borgne.

- Ou un serpent qui charme sa proie, ajoute un autre qui a passé quelques temps en Orient.

Dans la chambre, Manuel s’est confortablement installé sur le lit et Juana se blottit contre lui.

- Tu es à court d’inspiration ? murmure-t- elle

- Tu plaisantes ? Attends un peu. Seulement, il faut les faire saliver, ces charognards.

Malgré elle, Juana frissonne.

- Ils sont immondes, de vrais porcs.

- Tu n’es guère charitable.

- Tu voudrais que je sois charitable ?

- Oui, pour les porcs. Ils n’ont pas mérité d’être comparés à ça !

Un temps.

- Tu n’as pas froid ? s’inquiète-t- il. Tu ne veux pas ma cape ?

- Non, je suis bien. A ton avis, ils vont rester encore combien de temps ?

- Bonne question. D’un côté il ne faut pas aller trop vite pour rester crédibles ; de l’autre, il ne faudrait tout de même pas que nous, on s’ennuie !

- Je ne me suis pas autant amusée depuis longtemps, avoue Juana.

- Alors on recommence, ils ont assez mijoté.

Et plus haut, mais alors beaucoup plus haut :

- Comment, garce, mes caresses ne te plaisent pas ? Pourtant, à Rome, on m’a assuré qu’elles étaient indispensables au plaisir. Le mien, s’entend ! 

- Des caresses, gémit la jeune femme, j’appelle plutôt ça des pincements.

- Tu te trompes, ma belle, ça ce sont des pincements !

Les hurlements de Juana font sursauter les auditeurs, qui attendaient impatiemment la suite des événements. Le Borgne, intrigué par le silence, avait de nouveau collé son oreille à la porte et, en sursautant se heurte violemment à la clenche et laisse échapper un juron. Les plaintes continuent.

- Pas les seins, Manuel, pas les seins !

- Les seins, le ventre, les cuisses et le reste ! Tout va y passer ! Tu as pêché avec tout ton corps, tu expieras avec tout ton corps !  Et plus tu crieras, plus tu me feras plaisir ! Il y a des cris qui sont aussi doux que le chant des anges !

Juana éclate en sanglots.

- Je... je... je n’en ai même plus la force...

Sur le palier, les hommes se passent la langue sur les lèvres. Mais ils ne sont pas les seuls à se réjouir. Manuel et Juana répriment à grand peine un fou rire naissant et enfouissent leurs visages dans les oreillers.  Dehors, les bandits écoutent le silence avec une curiosité croissante.

- Il se passe plus rien ?

- S’il la caresse comme il dit, ça fait pas de bruit.

- Oui mais elle, elle pourrait crier.

- t’as pas entendu, elle a plus la force.

- Ben, tant mieux, elle commençait à me casser les oreilles.

- Lui, il lui casse bien autre chose, ricane le Borgne.

Le silence continue.

- Qu'est-ce qu’on fait, on s’en va ?

- Tu fais ce que tu veux, moi je veux pas rater le meilleur.

- Le meilleur ? répète l’autre sans comprendre

- J’t’expliquerai quand tu seras plus grand !

A l’intérieur, blottis l’un contre l’autre, Manuel et Juana discutent à voix basse.

- Tu dis qu’ils visitent les villages ? Mais vous l’aviez déjà fait.

- Je sais. Mais on ne sait jamais. On est peut-être passé à côté d’une piste. Mais on le trouvera, je te le jure.  Et on partira tous les quatre et je t’emmènerai voir la mer et puis...

- Et puis nous irons en Andalousie, je sais, là où coulent le lait et le miel.

- Le lait et le miel, je ne sais pas. Mais l’olivier et le jasmin, sûrement. Et tu écouteras...

- Le chant de l’eau sur la terre andalouse, complète Juana, rêveuse. Et les jardins, dis, tu me les montreras aussi ?

- Ah les jardins... L’image du paradis sur terre. Ma mère disait que le parfum des jardins, c’est l’haleine des anges et que la nuit, quand ils se promènent dans les jardins, les fontaines et les bassins en gardent le reflet.

- C’est pour ça qu’ils sont magiques, rêve encore Juana.

Un temps.

- C’est drôle, murmure -t- elle.

- Qu'est-ce qui est drôle ?

- Dehors, ils s’imaginent que tu me fais subir les pires horreurs et tu me racontes des histoires enchantées.

Manuel soupire.

- C’est vrai, je les avais oubliés, ceux là. Il faudrait qu’ils nous lâchent, tout de même. Il est peut-être temps de conclure.

- On joue le dernier acte ?

Manuel hoche la tête.

- J’y vais. Avec un peu de chance, je vais leur glacer les sangs.

Il s’éclaircit la gorge deux ou trois fois avant de lancer d’une voix coupante.

- Et maintenant, assez plaisanté, ma belle, il est temps de passer aux choses sérieuses.

- Pitié, Manuel, je n’en peux plus, je n’en peux plus...

- Tu n’en peux plus ? Attends un peu de vraiment souffrir pour te plaindre.

- Vraiment souffrir ? répète-t- elle, incrédule, souffrir plus ? C’est impossible !

- C’est-ce qui te trompe, ma toute belle. Jusque là, je me suis seulement amusé. Maintenant je vais prendre mon plaisir. Tu fais ça tous les jours non ? Et plusieurs fois. Alors ? De quoi as- tu peur

- De toi, Manuel, de toi !  Tu n’en auras donc jamais fini ?

- Jamais, chienne, jamais ! Et maintenant tais toi !  Et ne gâche pas mon plaisir.

Dehors, les bandits retiennent leur souffle. Un instant, le temps semble s’arrêter et soudain un hurlement inhumain troue le silence. 

- Il l’a eue, déclare le Borgne, ravi.

- Et bien eue, renchérit un autre.

Des gémissements convulsifs succèdent au hurlement. Les hommes tendent l’oreille mais visiblement le moment n’est plus aux discussions.  Peu à peu le silence se fait.

- C’est fini ? interroge un brigand



25/03/2009
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 3 autres membres