A SUIVRE Le Voyage à l\'envers

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CHAPITRE 50 bis Une arrivée qui ne passe pas inaperçue

CHAPITRE 50 Une arrivée qui ne passe pas inaperçue

    Le 2 Novembre 1507, jour des morts, un moine d’une trentaine d’années, l’œil et le poil noirs, grand et vigoureux quoique traînant la jambe, arrive à Tolède à la tombée de la nuit. Il a pour tout bagage un petit sac de cuir en bandoulière et plie sous le poids d’un objet volumineux fixé sur son dos avec de grosses sangles.  Jamais le jour consacré à tous les morts n’a mieux mérité son nom : Tolède est ravagée par la peste. Les citoyens les plus fortunés ont déjà pris le large, fuyant la contagion.   Le moine passe le pont d’Alcantara, s’arrête un instant, soupire en contemplant la côte plutôt raide qui mène à la cité et reprend sa route.   Une petite pluie fine tombe sans discontinuer, le glaçant jusqu' à la moelle.   Il arrive enfin sur une grande place où les passants se hâtent et avise une commère qui s’abrite de la pluie sous un porche.

-  Bonjour. Pourriez-vous m’indiquer Santo Tomé, s’il vous plaît ?

La commère le toise un instant. Il faut bien avouer qu’avec son air de chien mouillé, ses sandales usées jusqu' à la corde et son lourd bâton à la main, le nouveau venu n’inspire guère confiance.  Il doit le sentir et précise :

- Je suis le nouveau prêtre de Santo Tomé.  Je m’appelle Esteban Huerta.

La femme se détend, consent à sourire et lui montre une rue à gauche.

- Descendez par là jusqu' à la cathédrale, après tournez encore à gauche. C’est une petite rue, vous passez deux maisons et vous y êtes. Vous verrez, il y a un petit renfoncement avec un auvent.  Sur la gauche une fenêtre grillagée et en face de vous une belle porte cloutée. C’est juste à coté d’une petite place.  Seulement je vous préviens, vous attendez pas à un palais. Le curé est mort il y a trois mois et tout est à l’abandon.

- Je m’en arrangerai. Merci beaucoup.

La pluie a un peu cessé et le moine prend la direction indiquée. Après quelques tâtonnements, pas mal de questions et de pas inutiles, il arrive enfin devant l’église. La tour mudéjar aux murs percés d’arcs mauresques   élève sa silhouette austère et sobre dans le ciel délavé, massive et pourtant délicate.

- Un renfoncement, un auvent, la fenêtre grillagée : j’y suis.

 Le moine pousse la lourde porte de chêne et demeure interdit. Les vitraux sont cassés, les immondices s’accumulent un peu partout   et les rats courent sur l’autel.  Il referme la porte dans l’espoir illusoire d’atténuer le froid et de supprimer les courants d’air, pose sac et bâton et se débarrasse avec précautions de son fardeau. Il s’étire, grimace un peu et déballe soigneusement son paquet. Petit à petit une statue de taille moyenne émerge des linges.  C’est une petite Vierge aux yeux bleus, au sourire tendre et espiègle, tenant doucement son Fils dans ses bras.  Il la contemple un instant avec tendresse puis cherche un endroit décent pour l’installer mais l’église ressemble plutôt à un mauvais lieu. Il inspecte alors la sacristie : les fenêtres y sont intactes, un lourd brasero de fer gît dans un coin et un balai est posé contre le mur.  Il dépose sa statue dans un coin un peu abrité, empoigne vigoureusement le balai et se met en devoir de rendre l’endroit habitable.   Au bout d’un moment, il lâche son balai, allume un feu dans le brasero et tire une miche de pain et une gourde de vin d’un sac de cuir fort usagé.  Son frugal repas terminé, il s’étire longuement, s’allonge à même le sol, contemple encore une fois la Vierge et s’endort profondément.

A son réveil, le lendemain matin, la pluie a fait place à un soleil pâle et il sourit à la lumière qui   emplit la pièce. Tout en inspectant l’église dans ses moindres recoins, il termine sa miche de pain : désormais le sac est définitivement vide, comme sa bourse. Pourvu que ses nouveaux paroissiens soient généreux ! Car ce n’est vraiment pas le moment de leur réclamer la dîme.  Il hausse les épaules, attrape une nouvelle fois le balai et attaque avec énergie le nettoyage de l’église. Pour être plus à ’aise il a remonté sa robe au dessus du genou et retroussé ses manches. Les seaux d’eau succèdent au balai et l’église prend une tout autre apparence.   Au bout d’un moment, satisfait de son travail, il se retourne vers la Vierge.

- Alors, Ma Dame, qu’en dites- Vous ? Cela Vous plaît ? Vous verrez quand j’aurai tout repeint en blanc et mis des fleurs partout, ce sera magnifique et digne de Vous.

Il regarde autour de lui.

- Dés que je le pourrais je Vous ferai une belle stèle, je Vous le promets.  Mais il faut que je trouve le bois et les outils. J’espère qu’on me les prêtera, soupire-t- il. Je sais bien que Vous y veillerez mais il y a tant à faire : les fenêtres, les portes, le jubé, les bancs, et même l’autel. Et il faudra aussi terminer mes saynètes et les peindre.

Il se tait un instant et semble écouter.

-  Faire revenir les gens ici ? Vous avez raison c’est le plus urgent mais je ne peux pas les accueillir dans une porcherie, soit dit sans Vous offenser. Je sais bien que Vous et Votre Divin Fils êtes chez Vous partout mais il y a des limites ! Et puis je doute que tous mes paroissiens aient Votre mépris des apparences. Pour retenir les âmes, il faut d’abord flatter les yeux.

Il reprend son seau et passe par la sacristie pour descendre sur la petite place qui s’étend devant elle.  Mais presque aussitôt il entend des cris aigus et des voix d’enfants.

- Rends -la moi ! C’est pas drôle ! Je le dirai à maman !

Intrigué, il hâte le pas et aperçoit deux garçons qui lancent et relancent une poupée et une fillette qui essaye vainement de la rattraper.  Finalement l’un des deux garçons envoie la poupée dans un arbre où elle reste accrochée, hors d’atteinte. La fillette se précipite alors sur les gamins, furieuse et les bourre de coups de poing et de pieds.  Ils la repoussent violemment et s’enfuient en riant.  Le prêtre s’approche alors de la petite au bord des larmes.

- Ne pleure pas, dit-il doucement. Comment t’appelles-tu ?

La petite renifle bruyamment, lui jette un regard méfiant et lance.

- Clara. Et toi ?

- Esteban. Je suis le nouveau prêtre de Santo Tomé.

- Esteban, répète la gamine. Don Esteban ?

Son interlocuteur sourit : décidément ce « don » il ne s’y fait pas.

- C’est ça, Don Esteban.

Mais le petit menton tremble. Il répète.

- Ne pleure pas. Je vais te la décrocher.

- Vrai ?

Sans répondre, Don Esteban s’approche du platane.  Heureusement, l’arbre a poussé tout prés de l’église et en montant sur le muret qui mène à la sacristie, il atteint la poupée sans trop de difficulté. Clara lui adresse un sourire radieux et récupère avec empressement sa fille qu’elle presse contre sa poitrine.

- Elle n’est même pas abîmée, assure-t- il.

- Tu es arrivé quand ? questionne la fillette.

- Hier soir, à la nuit tombée.

- Et tu as dormi là ? continue -t- elle, inquiète.

- Je n’avais pas le choix, et puis j’étais tellement content d’arriver.

Clara lui lance un regard apeuré.

- Pourtant on dit qu’il y a des fantômes...

- Je n’ai pas peur des fantômes : je n’ai jamais vu qu’ils fassent en mille ans autant de mal que les hommes en font en un jour.

Mais la gamine n’est pas convaincue. Don Esteban décide alors de changer de sujet.

- Tu ne sais pas où je pourrai trouver un menuisier ou un charpentier ? Tout est à refaire là dedans.

Elle réfléchit, le nez plissé, très sérieuse.

- Je crois qu’il y en a un dans le bas de la rue. Si tu veux je vais demander à papa, lui, il saura. Tu as besoin d’autre chose ?

Don Esteban passe la main dans ses cheveux, signe chez lui d’une grande perplexité.

- A vrai dire, j’aurai surtout besoin de brosses et de savon.

- Je vais en parler à maman.  Elle m’attend mais je vais revenir.

- Tu es chez toi ici. « Laissez venir à moi les petits enfants » a dit le Seigneur.

La petite lui dédie un autre sourire, serre encore plus fort sa poupée et descend la rue d’un pas dansant. Peu à peu la rue s’est éveillée et s’anime. Les volets s’ouvrent, les boutiques accueillent les premiers clients et les commères vont et viennent. Les chariots recouverts de bâches noires aussi hélas : la peste ne se laisse pas oublier. Don Esteban soupire, lance un dernier seau d’eau sur le carrelage de l’église et décide de vérifier les indications de la petite. Il remet de l’ordre dans sa tenue et descend la rue. Effectivement, quelques maisons plus bas, il tombe sur l’échoppe d’un menuisier déjà à l’ouvrage.  L’homme est en train d’assembler délicatement les différentes pièces d’une chaise et Don Esteban l’observe avec sympathie. Enfin, la chaise est assemblée et le menuisier sourit à son œuvre achevée.

- C’est du beau travail, affirme Don Esteban

- Merci, padre.  Ca me change des cercueils. C’est ce qu’on demande le plus en ce moment.

- J’ai vu les chariots, tout à l’heure.

- Maudite peste, grommelle l’homme.  Mais dites moi, vous êtes nouveau ici, je ne vous ai pas encore vu dans les parages.

- Je suis le nouveau prêtre de Santo Tomé, annonce Don Esteban tout en se demandant combien de fois encore il aurait à répéter cette phrase.

-  Le nouveau prêtre de Santo Tomé ? Tiens donc.  Ca fait plus de trois mois qu’il n’y a personne.

- C’est ce qu’on m’a dit.

- Notez bien, ça valait mieux parce que votre prédécesseur, c’était une sacrée fripouille.

- Paix à son âme, dit le prêtre, requiescat in pace.

- Amen, ajoute le menuisier. Mais n’empêche, c’était une sacrée fripouille. Tout ce qui l’intéressait c’était son argent : vous ne pouvez pas imaginer ce qu’il inventait pour ça.

Le menuisier inspecte soigneusement la chaise et, devant le silence de Don Esteban, poursuit sa diatribe.

- Et puis on a dû envoyer nos filles se confesser ailleurs, si vous voyez ce que je veux dire. Il a eu de la chance que la peste arrive, ça a étouffé le scandale. Mais il a sûrement semé des bâtards un peu partout.

La chaise est bien montée et le menuisier va chercher un pot de vernis.

-  Mais le pire c’est qu’il a refusé de venir administrer les derniers sacrements à un mourant, sans prétexte qu’il avait la peste.

- Impossible, s’écrie Don Esteban.

Le menuisier hoche la tête.

- C’est comme je vous le dis. Il a fichu le camp dès les débuts de l’épidémie. Il tenait trop à sa peau. Notez bien, ça ne lui a pas porté chance. Il a été renversé par un chariot et il est mort écrasé.  Que le diable l’emporte !

- La miséricorde de Dieu est infinie, mon fils.

-  Il en aura bien besoin, padre. Enfin bref, tout ça pour vous dire que ça m’étonnerait que vous ayez grand monde à la messe. Tout le monde a pris l’habitude d’aller à côté.

- Et bien c’est à moi de les faire revenir. C’est pour ça que j’ai besoin de vos services. Tout est délabré à l’église et...

- Je vous arrête tout de suite, padre. Je vous aiderais avec plaisir mais je suis complètement débordé et...

- A moi de vous arrêter. La seule chose dont j’ai besoin ce sont des outils : scies, rabots, varlopes, marteaux, clous. Et du bois évidemment.

- Vous savez travailler le bois, padre ? interroge le menuisier, mi-intrigué, mi admiratif.

-  Je n’ai pas toujours été prêtre, avant j’étais menuisier.  D’ailleurs, menuisier, charpentier, c’est un métier des plus évangéliques !

L’homme éclate de rire.

-  Dans ce cas, servez vous, padre, je vous fais confiance. Prenez ce dont vous avez besoin ; le bois est dans l’arrière cour. De toute façon, si j’en ai besoin, je sais où trouver mes outils : Santo Tomé n’est pas bien loin.

Un peu plus tard, dans l’église, Don Esteban s’installe devant les planches de pin blond prévues pour la stèle de la Vierge. Il caresse le bois et saisit le rabot. Les gestes lui viennent naturellement, instinctivement, souvenirs du temps d’avant... Il s’essuie les yeux et attaque la première planche.  Les copeaux ont volé un peu partout ; Don Esteban s’arrête un instant, s’éponge le front et sort sur la place boire à longs traits l’eau de la fontaine. Avant de rentrer dans Santo Tomé, il fait jouer la serrure et inspecte soigneusement la porte : encore du travail en perspective Tout à coup il sursaute.

- Et vous là bas, crie une voix rageuse, vous vous croyez où ? Y a rien à voler !

Il se retourne vivement : un homme de haute stature le fixe méchamment, jambes écartées, poings sur les hanches.

- Je vous demande pardon ?

- Y a rien à voler. Feriez mieux de déguerpir. On n’aime pas les voleurs ici et encore moins les pillards !

- Je regrette mais je suis chez moi, assure fermement Don Esteban.

- Chez vous ? Ca m’étonnerait ! fulmine l’homme

- Je suis le nouveau prêtre de Santo Tomé.

- Ca, un prêtre, vous voulez rire !

Don Esteban est sur le point de répliquer vertement quand il se rend compte de son apparence. Il desserre sa ceinture, laisse retomber sa robe, secoue les copeaux accrochés un peu partout et met bien en évidence sur la laine noire le crucifix d’argent   qui pend à son cou.

- Et comme ça, c’est mieux ? lance-t- il, énervé. A moins que vous n’exigiez plus de pompe et de splendeur ? Navré de vous décevoir !

Décontenancé, l’homme l’observe un instant, grommelle des mots incompréhensibles et s’éloigne d’un pas pesant. Un éclat de rire l’accompagne : Don Esteban se retourne vivement et reconnaît Clara, un lourd panier à la main.

- Clara, quelle bonne surprise !

- Attendez un peu de voir ce que maman m’a donné pour vous.

Ils pénètrent dans l’église et la fillette jette des regards admiratifs autour d’elle.

- Ben dites donc ça a drôlement changé. Avec tout le travail que vous avez abattu, vous devez avoir faim !

- Je t’avoue qu’un bon repas serait le bienvenu.

Elle pose son panier, déploie une nappe blanche à même le sol et commence à déballer les provisions : un gros jambon, une belle miche de pain, une douzaine d’œufs, un pot de miel, une outre de vin, des fruits secs, un pâté luisant de gelée et un poulet froid.

- Par tous les Saints du Paradis ! s’exclame le prêtre. Tu veux me faire succomber au pêché de gourmandise.

- Maman a dit « un sac vide ne tient pas debout ». Et puis vous l’avez dit vous même : il y a tellement à faire. Dés qu’elle pourra, elle vous apportera les brosses et le savon mais le panier était déjà trop plein.

- Tu remercieras bien ta mère. Je commençais à être affamé.    Que dirais tu d’un petit en cas ?

- D’accord.

Bientôt le prêtre et la petite fille dévorent de larges tartines recouvertes de pâté, assis sur le muret de la sacristie. Tout à coup leur attention est attirée par des cris et des vociférations. Ils se précipitent dans la rue et aperçoivent un homme en train de frapper violemment un gamin d’une douzaine d’années.

- Dis donc, hurle l’homme, tu crois que le pain ça pousse sur les arbres ? Je vais t’apprendre à voler, moi !

- Mais c’est celui qui me prenait pour un voleur ! s’exclame Don Esteban

- Agustin Gomez, annonce Clara. Je l’aime pas, il est méchant. Mais il est drôlement costaud. Il fait peur à tout le monde.

- Ah oui ? C’est-ce qu’on va voir !

Don Esteban se précipite, s’interpose entre les deux, repousse violemment Agustin et prend l’enfant par la main. Stupéfait, Agustin ouvre des yeux ronds.

- Non mais, de quoi je me mêle ? Laissez-moi le corriger, ce vaurien. Avec la raclée qu’il va recevoir, ça m’étonnerait qu’il ait encore la force de voler !

Don Esteban se met résolument devant le petit, se carre sur ses jambes et lance :

- Je me mêle de ce qui me regarde !  Et si jamais vous le touchez encore une fois, je vous mets la tête au carré !

Agustin lui jette un regard hargneux.

- Parce que vous êtes prêtre, vous vous croyez tout permis !

-  Je déteste les lâches et il faut être le dernier des derniers pour frapper un enfant !

-  Un enfant ! Un voleur, oui ! Il en sait plus que tous les mendiants de Tolède ! Demandez lui à votre protégé s’il ne m’a pas volé un pain aujourd'hui ? Ca fait plusieurs jours que je le guettais et je le prends enfin la main dans le sac !

Don Esteban se tourne alors vers l’enfant.

- C’est vrai, petit ? Tu lui as volé des provisions ?

- Faut bien que je mange ! proteste le gamin.   S’il me donnait ses restes, je serais pas obligé de voler mais il préfère les donner à ses chiens !

- Mes chiens, eux au moins,  ils me rapportent, crapule !

- Non mais ce n’est pas vrai ! s’écrie Don Esteban. Je rêve ou plutôt je cauchemarde ! Même chez les sauvages, on ne voit pas ça !   Je comprends pourquoi Dieu nous envoie la peste si des chrétiens se conduisent comme des hyènes et des vautours ! Toi, dit il en pointant un index vengeur sur Agustin, tu vas me faire le plaisir de laisser ce gamin tranquille et songe un peu à faire l’aumône si tu tiens au salut de ton âme ! 

Attirés par le bruit, des badauds se sont approchés et interviennent bruyamment.

- De toute façon, Agustin, t’es bien assez riche comme ça !

- La peste ,c’est pas mauvais pour tout le monde !

Agustin lance des regards furieux à l’assemblée, montre le poing et finit par quitter la place en grommelant injures et menaces. Don Esteban se retourne alors vers le gamin qu’il tient toujours par la main et qui visiblement voudrait bien s’enfuir.

- Toi, tu vas venir avec moi.

- J’ai pas besoin de sermon.

Don Esteban prend un air étonné.

- Sermon ? Qui parle de sermon ? Je pensais seulement t’offrir un peu de cet excellent pâté qu’on vient de m’apporter.

Les yeux du gamin brillent et il dévore avec appétit les tartines que Don Esteban lui prépare. Soudain il demande, presque timidement

- Je pourrais en avoir d’autres ?

- Tu as si faim que ça ? A propos comment t’appelles-tu ?

- Placido. Je pourrais en avoir d’autres ?

-  Tant que tu veux. Sers-toi.

Mais Placido n’a pas l’air satisfait.

- Vous n’auriez pas un panier ou un linge à me prêter pour les tartines ? Je vais jamais pouvoir tout prendre.

- Pour quoi faire ?

Placido prend un air embarrassé et lâche.

- C’est pour les petits, ils m’attendent.

- Les petits, quels petits ?  Tu as des frères et sœurs ?

- Non,   mais on est plusieurs. Nos parents sont morts de la peste ; on se débrouille.

- Je vois, acquiesce gravement le prêtre. Et bien, va les chercher. Quand il y en a pour deux, il y en a pour quatre.

L’enfant se trouble encore davantage, ouvre la bouche, la referme et obéit au prêtre. Quand il a disparu au coin de la rue, Clara demande.

- Vous croyez qu’il va revenir ?

- Je l’espère. Sinon qui va m’aider à goûter les provisions de ta mère ? Il ne faudrait pas qu’elles se gâtent.

Ils éclatent de rire et s’absorbent dans la contemplation d’un vol de martinets

- Les voilà, padre.

La voix de Placido les arrache au spectacle et Don Esteban en a le souffle coupé. Placido est accompagnée d’une dizaine d’enfants de trois à neuf ans environ. En outre, il tient un bébé dans ses bras.

- Santa Madre ! Mais qui sont-ils ?

- Je ne sais pas au juste mais ils ont plus personne. Faut bien que quelqu’un s’occupe d’eux.

- Évidemment, acquiesce le prêtre. Et je parie que tout ce petit monde a faim ?

- Oh oui, affirme une brunette de six ans. On a beaucoup faim.

Don Esteban soupire.

- Clara, tu peux me trouver de l’huile, enfin du lard, une poêle, une casserole, bref, ce qu’il faut pour faire la cuisine ?

- C’est comme si c’était fait ! promet la gamine en détalant.

- Bon alors, on y va, propose Don Esteban

- Où ça ? demande Placido

- Encore méfiant ? Attends de goûter ma cuisine pour te plaindre ! De toute façon je n’ai que l’église à vous offrir. Je n’ai pas encore eu le temps de repérer le presbytère.

A ce moment précis, le tonnerre se met à gronder et la pluie inonde les rues. Tous rentrent précipitamment dans l’église.

- Heureusement que le toit de la sacristie est en bon état, affirme Don Esteban. Ici au moins vous serez à l’abri. Installez-vous là, je vais faire du feu.

Bientôt le feu flambe joyeusement et les enfants tendent leurs mains avec ravissement en dévorant les tranches de jambon que Don Esteban a distribuées à tous, sauf au bébé naturellement ! Instinctivement, tous se sont rassemblés autour de Placido qui surveille son petit monde d’un œil paternel. Soudain, Don Esteban reconnaît la voix de Clara.

- Don Esteban, venez vite. On a des tas de choses pour vous !



06/03/2009
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