A SUIVRE Le Voyage à l\'envers

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CHAPITRE 36 Qui s’y frotte s’y pique

CHAPITRE 36 Qui s'y frotte s'y pique 

 Qu'est-ce que tu racontes ? tonne Don José 

Ramon reprend son récit avec une visible délectation.

- Pedro est devenu employé des étuves. Il faut croire que votre service ne lui suffit et qu’il peut le négliger. J’ai été horrifié quand je l’ai découvert.  Pour moi, le service de monseigneur passe avant tout.

Mais Don José ne l’écoute plus. Il semble réfléchir un moment, lance un regard mauvais à son serviteur et lance rageusement.

   - Envoie - moi Pedro. Et ne t’éloignes pas trop !

Peu de temps après, l’indien pénètre dans le bureau. Ramon lui lance un regard narquois avant de quitter la pièce. Le maître examine attentivement l’esclave qui a baissé les yeux et attend patiemment, immobile. Don José saisit négligemment sa canne, la manie lentement et demande d’un ton faussement dégagé :

   -  Dis moi, Pedro, cela fait environ un mois que tu es à mon service ?

L’indien hoche la tête.

   - Réponds ! ordonne brusquement Don José

   - Oui, monseigneur.

L’espagnol caresse sa canne d’un air songeur.

  - J’avais l’impression de m’être bien fait comprendre. Mais sans doute as tu la tête trop dure pour cela.  Je sais bien que tu n’es qu’un enfant privé de raison, comme tous les sauvages. Mais je sais aussi comment on traite les enfants capricieux et les chevaux rétifs. Le fouet de Ramon saura bien écrire ton devoir sur ta peau !

Il marque un temps mais Pedro reste impassible.

   - Au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, je suis le maître et tu es l’esclave. J’ai tous les droits sur toi, y compris le droit de vie et de mort. S’il me prend donc l’envie de te livrer à Ramon et de lui demander de te corriger, je ne réponds pas des suites et tu en seras seul responsable.  Tu dépends entièrement de moi ; ton sommeil, tes vêtements, ton logement, ta nourriture dépendent aussi entièrement de mon bon plaisir. Si je le désire, je peux négliger de te nourrir ou de te vêtir et te faire coucher dans la cour, au milieu des immondices et par tous les temps. Tu sais cela ?

   - Je sais cela, réponds le jeune homme d’une voix atone.

   - Si jamais tu me trahis d’une manière ou d’une autre, j’ai parfaitement le droit de te faire périr dans les tourments les plus atroces sans que personne y trouve à redire.

Un temps.

   - La seule raison pour laquelle tu es encore en vie, c’est que j’aime avoir un serviteur. Mais un serviteur obéissant, dévoué, aveuglément servile. Un serviteur dont les moindres gestes, les moindres regards et jusqu’au moindre souffle m’appartiennent comme l’ombre à la personne et le chien à son maître.  Tu sais cela aussi ?

   - Je sais cela aussi.

   - Fort bien, reprend le gentilhomme d’un air satisfait. Commence donc par te mettre à genoux. Et tout de suite !

L’indien obéit sans hésiter.

   - Continuons ton instruction. Voici donc ton état : esclavage, servitude, soumission totale et sans restriction. Ce qui veut dire que toutes les initiatives personnelles te sont absolument interdites et que ton unique occupation doit être mon service, encore mon service, toujours mon service !

Don José lève sa canne, en menace l’indien puis l’abat avec force sur la table voisine. Malgré le fracas, Pedro ne bouge pas un cil.

   - Mais peut-être ne t’ai je pas donné assez de travail ces derniers temps ? Peut-être veux tu de quoi t’occuper... Entre mes chiens, mes chevaux, l’entretien de mes armes et de mes vêtements, les soins domestiques, le service de ma table , de mes appartements de la cuisine et des écuries ,  les courses à mes amis, comme leur amusement, tu auras de quoi combler tes trop nombreux loisirs  !

En disant cela Don José a violemment bousculé l’indien qui tombe à plat ventre.Plusieurs fois il essaie de se relever et plusieurs fois Don José le repousse avec hargne, le bourrant de coups de pied

   - Car vois tu, poursuit l’espagnol avec une fureur croissante, on m’a rapporté que tu avais trouvé un emploi, oui un emploi ! Un de mes serviteurs a trouvé un emploi hors de chez moi ! Et aux étuves encore, afin que nul n’en ignore ! Tolède doit bien rire, ma foi !

Nouveau regard à l’indien qui ne bronche toujours pas.

   - Mais toi, tu riras peut-être moins quand Ramon t’auras   écorché vif !  Tu apprendras à te moquer de moi !

Don José s’arrête un instant et reprend son souffle.

   - Alors que dis tu de ça ? Qui est le; maître ici ? Je veux te l’entendre dire !

Pedro a perdu son air impassible et semble affolé.

    -  C’est vous monseigneur, vous êtes le seul maître, le maître absolu, déclare t il d’une voix tremblante.

   - Heureux de l’apprendre !  Et j’espère que tu te rends compte de l’énormité de ton crime et du châtiment exemplaire qu’il réclame.

L’indien lui lance un regard épouvanté et balbutie.

   - Je... je croyais vous être agréable...

 Don José éclate de rire.

   - Agréable, voyez vous ça ! C’est tout ce que tu as trouvé ? Et on peut savoir comment ?

   - Aux étuves, on parle, on discute. Tous disent leurs affaires, leurs projets, tout quoi ! Je m’étais dit...

Visiblement, il est terrifié.

   - Continue ! aboie son maître.

Pedro avale sa salive et poursuit avec peine.

   - Personne ne fait attention à moi; vous pensez, un esclave ! Alors ils parlent sans méfiance, comme si je n’étais pas là. Je m’étais dit que peut-être je pourrais apprendre quelque chose d’utile à monseigneur.

   - Et qu'est ce qui te fait croire que j’ai besoin des services d’un espion ?

   - On a toujours besoin des services d’un espion, surtout quand on est un aussi grand seigneur que monseigneur. Plus on est grand, plus on a d’ennemis, c’est logique. Et dans ce cas, tous les renseignements sont bons à prendre.

Don José pose sa canne sur la table et réfléchit un instant tandis que Pedro, plein d’espoir et d’angoisse à la fois guette ses réactions.

   - Il y a du vrai dans ce que tu dis. 

Pedro pousse son avantage.

   - Je pensais que monseigneur avait davantage besoin d’un esclave actif et attentif que d’un objet inerte.  Je voulais être les yeux et les oreilles de monseigneur.

   - Pour cela, j’ai Ramon.

   - C’est que... commence l’indien.

   - C’est que quoi ? Oses tu mettre en cause son dévouement ?

   - Le ciel m’en garde ! Non mais... il n’est pas toujours bien vu là où moi je peux aller sans risque et les gens se méfient de lui. Pas de moi.

Une nouvelle fois, Don José éclate d’un rire sonore.

   - Bien vu ! Tu n’es pas si bête, après tout.

   - Tout au service de monseigneur, assure le jeune homme avec ferveur.

   - Je l’espère bien. Sinon je te ferais regretter d’être né. Alors n’oublies pas qui est le maître.  Quand vas-tu aux étuves ?

  - Tôt le matin ou tard le soir, pour ne pas déranger le service de monseigneur.

   - Et bien soit, tu as ma permission. Au fond, je préfère que tu ouvres grand tes yeux et tes oreilles. Prends tout le temps dont tu as besoin.

D’un geste brusque, Don José tend sa main à Pedro qui la baise dévotement.

   - Va maintenant. Je te donne ta journée.

Pedro se relève lentement, s’incline profondément et sort à reculons, la tête baissée.  Non loin de là, Ramon l’attend d’un air triomphant. Mais Pedro plante son regard dans le sien, a un petit sourire en coin et sort résolument dans la rue. Le mois de mai est superbe et le printemps s’est définitivement posé sur la Castille. Pedro déambule sans hâte dans les rues. Au passage, bien enclos derrière les volutes tendres et rêveuses des grilles de fer forgé, des jardins pudiques exhalent des parfums capiteux ou délicats. D’innombrables martinets dansent une folle sarabande sur les places écrasées de soleil, passant et repassant sans cesse au milieu des éclats de rire des fontaines.   Peu à peu le jeune homme se laisse envoûter par le charme magique de l’instant. Sur un mur ocre, prés de volets sombres s’étale un jasmin mélancolique. Pedro s’arrête un instant, s’approche, perçoit sa plainte odorante et enfouit son visage dans les fleurs.   Presque aussitôt, un rire énorme le fait tressaillir. Brutalement arraché à son rêve, il se retourne vivement, furieux.  A quelques pas de lui, pliés en deux de rire, trois espagnols s’esclaffent bruyamment en le montrant du doigt.

   - On ne savait pas qu’il était aussi sensible, l’Indio. Faudra voir à lui offrir des fleurs, la prochaine fois !

A y mieux regarder, Pedro reconnaît deux des rieurs. Ce sont les aides du patron des étuves. Aides fort peu actifs et qu’il a avantageusement remplacés. Par contre, le troisième homme, au visage orné d’une moustache fine et bien taillée, lui est complètement inconnu.  Un des rieurs se baisse, arrache quelques bains d’herbes, s’incline de façon bouffonne et offre le maigre bouquet à l’indien qui le repousse violemment.  L’homme recule avec force courbettes et sourires mielleux. .

   - Tu vois, Vicente, poursuit il, il ne sait pas seulement voler le travail des autres, il sait aussi respirer les fleurs !

Pedro esquisse un geste pour s’approcher des trois compères mais un poignard fend l’air et cloue sa manche gauche au volet situé derrière lui. Presque aussitôt, deux autres stylets rejoignent le premier et c’est l’épaule et la jambe gauche du jeune homme qui sont immobilisées. Les rires redoublent.

   - Bravo Diego, tu es vraiment le meilleur ! lancent les deux rieurs au moustachu qui se rengorge.

De sa main droite restée libre, Pedro retire calmement les trois poignards fichés dans le bois et les examine un instant sous le regard narquois des persifleurs. . Mais leur sourire se fige brusquement : d’un geste vif, Pedro a renvoyé les armes qui se plantent en vibrant dans la porte de chêne située derrière les trois hommes, à quelques pouces de leurs têtes.

   - J’aurais pu vous les enfoncer dans le coeur mais souiller de si beaux poignards ... ç’aurait été dommage. Si vous voulez bien me les renvoyer, je peux vous faire une démonstration.

Les anciens aides échangent un regard rapide, tournent prestement les talons et disparaissent en courant pendant que le nommé Diego éclate de rire. Pedro le regarde avec méfiance.

   - Compliments, j’ai rarement vu une pareille adresse, assure Diego d’un ton admiratif.

   - Ttu tiens à en avoir une nouvelle preuve ? Je déteste qu’on moque de moi, lance l’indien

   -  Tout doux, je suis sérieux, affirme Diego. Tu es presque aussi habile que moi. Et c’est rare !

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21/02/2009
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