CHAPITRE 13 Une affaire de la plus haute importance
CHAPITRE
13 Une affaire de la plus haute
importance
Le mois de
mai finissant répand son éclat sur Tolède qui frémit d’aise sous la brise.
- Il faudra absolument couper ce jasmin, Ana,
affirme Isabel en relevant une branche vagabonde. Sinon il finira par envahir
tout le patio.
Ana se
penche et respire longtemps les fleurs mauves.
- Je sais, tu me l’as déjà dit, mais il
sent tellement bon...Et puis mon père l’a planté le jour de ma naissance...
Isabel
soupire et détache une fleur fanée. A ce
moment précis, Domingo accourt, essoufflé, les yeux brillants.
- Elvira
vient d’arriver, lance -t- il d’un ton joyeux.
- Remets-toi,
plaisante Isabel.
- Elle est
encore plus belle que la dernière fois. Comment fait-elle ? demande-t- il,
extasié.
- C’est un
secret qui se transmet de mère en fille depuis la nuit des temps, assure
gravement Ana.
Le gamin la regarde
avec curiosité.
- Va lui
dire que nous arrivons. Après tu iras à la cuisine demander des
rafraîchissements à Carmen.
- Oh ! C’est
déjà fait ! répartit Domingo en courant vers la maison.
- Pourvu que
Mariana ne l’apprenne pas trop vite, dit Isabel, sinon, on va encore avoir
droit à une scène !
Ana sourit, ramasse quelques fleurs et se
dirige vivement vers le patio. Domingo
n’a pas menti : la nouvelle venue est ravissante. Très jeune, longue et fine,
un visage ovale entouré de lourdes tresses ramenées en bandeau, des yeux en
amande extraordinairement expressifs, elle semble la fiancée du Cantique des
Cantiques « belle comme la lune, resplendissante comme le soleil,
redoutable comme des bataillons ». Elle paraît soucieuse mais dès qu’elle
aperçoit Ana, son visage s’éclaire.
- Que je
suis contente de te voir, Ana ! Il faut que je te parle. Excuse -moi de te
déranger si tôt mais c’est une affaire de la plus haute importance
La jeune
femme hoche la tête et entraîne la visiteuse dans la salle basse. Une fois
installées sur les coussins de l’estrade, elles accueillent avec plaisir les
sucreries qu’apporte Isabel.
- Raconte,
dit Ana.
Elvira
retrouve alors son air soucieux.
- Tu sais
que grand-père avait dit que j’irai au bal quand j’aurai seize ans.
- Je sais, et je fais confiance à don
Alejandro pour te présenter à toute la Cour. Et bien, il a changé d’avis ?
La jeune fille sourit franchement.
- Lui ? Oh
non ! Il est même plutôt pressé de me montrer, je crois. Et j’ai eu seize ans
il y a un mois.
- Et bien
alors ? Qu’est-ce qui te tracasse ? Il n’y a pas de temps perdu.
Elvira fait
la moue.
- C’est Papa.
Il dit que je suis trop jeune, qu’il n’est pas encore temps, etc. Toujours la
même chanson.
- Si ton grand-père
n’arrive pas à lui faire entendre raison, la situation me semble désespérée. Iñigo
ne veut pas que tu ailles au bal, c’est cela
?
- Un jour
c’est non, un jour c’est oui ! s’emporte la jeune fille. Et quand c’est oui,
c’est encore pire.
- Pire ? Je
ne comprends pas.
- Si tu
voyais les horreurs qu’il veut que je porte ! Jamais ! Plutôt rester cloîtrée !
Il n’a aucune idée de la mode actuelle ; il est resté à l’époque des Rois
Catholiques.
- Avoue que
s’intéresser à la dernière mode n’est guère dans les fonctions d’un intendant,
remarque Ana en saisissant une autre pâtisserie. Mais qu’est-ce que tu attends
de moi, exactement ?
Elvira rougit, baisse les yeux et finit par
lancer :
- Tu ne
pourrais pas aller le voir ? Tu lui expliquerais la situation et tu pourrais
peut-être le fléchir. Il t’aime bien.
- Continue.
Enhardie,
Elvira s’anime.
- Tu
comprends, je ne veux pas manquer mon entrée dans le monde. Jusque là, je suis
complètement inconnue, je ne risque rien. Mais s’il me rend ridicule en public,
je suis définitivement perdue ! Mais ça il ne veut pas le comprendre.
- C’est vrai
que tu es très jeune, s’amuse Ana, je comprends ton père.
- Ah non, tu
ne vas pas t’y mettre, toi aussi !
- Mais je
sais aussi l’importance d’un premier bal. D’accord, j’irai le voir.
Spontanément,
Elvira lui saute au coup comme une enfant. Ana se dégage en riant.
- Je ne te
promets rien mais nous trouverons bien un terrain d’entente. Et ta mère qu’est-ce
qu’elle en dit ?
Elvira hausse les épaules.
- Oh Maman,
je l’adore mais elle fait toujours ce que dit Papa.
Ana
dissimule mal un sourire. Visiblement, la petite a encore quelque chose à
demander.
- C’est tout ?
Elvira
s’agite sur ses coussins.
- Pas tout à
fait.
- Et quoi
d’autre encore ? Je t’écoute.
- Et bien
voilà, même s’il accepte et si je suis à peu près correctement habillée, il va
me coller un chaperon impossible, une vieille grincheuse qui ne me laissera pas
faire un pas tranquille et je pensais que ...
- Toi, je te vois venir, affirme Ana.
- Tu ne
voudrais pas m’accompagner ? supplie la petite. Je voudrais tellement que cela
se passe bien ! Et puis tu aimes danser !
- Tu ne veux
pas en plus que je m’occupe de ta toilette et que je t’aide à choisir les
tissus ?
- Tu
accepterais ? demande ingénument Elvira, pleine d’espoir.
Ana éclate
de rire.
- Toi, au
moins, tu ne manques pas de culot ! D’accord, je m’occupe de tout. Mais pas de
caprice. Si ton père pose des conditions, il faudra les accepter.
Elvira
baisse les yeux, boudeuse.
- Ne t’inquiète
pas, je trouverai le moyen de te faire faire la plus belle robe du monde et
sans qu’Iñigo y trouve à redire. Avec
l’aide de don Alejandro, nous en viendrons bien à bout.
- Si toi et
grand père vous y mettez, il y a peut -être une chance, reconnaît-elle.
- Ravie de
te l’entendre dire, ma chérie. J’espère que tu seras satisfaite de mes
services.
Elvira lui
jette un regard étonné, éclate de rire et l’embrasse une nouvelle fois. Puis
elle se lève.
- Beltran ne
va pas tarder à venir me chercher, annonce -t- elle, il avait à faire dans le
coin.
- A faire ?
- Oh ! C’est
ce qu’il dit. Je suis sûre qu’il est allé retrouver des gamins de son âge, il
n’a que treize ans, lance -t- elle d’un air méprisant.
Ana réprime
une forte envie de rire et aide la jeune fille à installer sa mante.
- Et à part
ce désaccord avec Iñigo, comment va don Alejandro ?
Elvira fait
la moue.
- On ne le
voit pas beaucoup. Le roi le réclame sans cesse. Toujours ces histoires avec le
roi de France. Il paraît même que, pour régler le tout, ils vont se battre en
duel.
- Deux
grands rois se battre comme des chiffonniers !
- Si Beltran
t’entendait ... Lui que ne rêve que plaies et bosses.
- Et doña Sol ?
- Elle dit
que les hommes ont des jouets plus dangereux que ceux des enfants mais à part
ça, elle n’y voit pas de différence.
Ana sourit.
- C’est la
philosophe de la famille. Tiens, j’entends Beltran.
Le jeune
homme salue profondément Ana.
- Alors, il paraît
que tu es très au fait des affaires de France ? le taquine Ana.
- C’est
ahurissant, Ana. Le roi François a
traité Charles-Quint de menteur, lui qui prétend qu’un roi n’a pas à accomplir
la parole d’un prisonnier !
- Ca y est,
voilà que ça le reprend, soupire Elvira.
- Tu ne te
rends pas compte ! Il a même traité le roi de couard, il a ricané qu’il ne
l’avait jamais rencontré sur un champ de bataille et...
- Je crois
qu’Ana a assez entendu de politique internationale pour aujourd’hui, coupe sa sœur.
-
Évidemment, tout ça, ça te dépasse, lance Beltran, les femmes et la
politique...
- Tu en
parleras à Madame Louise de Savoie et à Madame Marguerite, régente des Pays-Bas,
la prochaine fois que tu les verras.
Beltran
plisse les lèvres, retient la réplique qui va fuser, salue cérémonieusement Ana
et s’éloigne d’un pas qu’il veut assuré.
- Je te
l’avais dit, un vrai gamin, souffle Elvira. J’y vais.
Elle
embrasse Ana et rejoint son frère.
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