CHAPITRE 104 L’Elue de Quetzalcoat
CHAPITRE 104 L’Elue de Quetzalcoatl
Tout a été dégusté, lavé, rangé : Carmen n’a rien
pu trouver à redire et a même dû convenir que le repas indien était
excellent. Ana s’attarde un peu dans le
patio : que cette journée d’automne est donc douce... Elle sourit au soleil et
lui présente son cristal. Pourquoi l’a-t- il autant attirée ? Pourquoi a-t-
elle l’impression, non, la certitude qu’il est devenu terriblement important ?
Pourquoi lui fait-elle tellement confiance ? Pedro la rejoint.
- Tiens, voilà le cristal dont je t’ai parlé.
Pedro le saisit vivement et l’examine avec
attention.
- Qu'est-ce que j’ai pu rêver en le regardant ;
j’y voyais des cités perdues, des montagnes mystérieuses, des personnages
extraordinaires comme celui de mes rêves...
- Tes rêves ?
Ana se mord les lèvres, hésite et avoue.
- Je n’en ai jamais parlé à personne. On a vite fait, ici, de parler de sorcellerie,
de possession démoniaque... Pourtant, il m’a toujours semblé très pacifique.
- Qui donc ?
- Quetzalcoatl.
La réponse a fusé, presque malgré elle. Elle porte
la main à sa bouche et balbutie :
- Mais je ne le connais pas, je ne peux pas le
connaître... C’est toi qui m’en as parlé pour la première fois, tout à l’heure.
Et pourtant…
- Pourtant ? répète Pedro d’une voix étranglée.
- Je suis sûre que c’est lui : jeune et ancien,
lointain et proche, lumineux et sombre, pur et souillé … je m’explique mal mais
je suis sûre que c’est un ami et en même temps, je sens des choses terribles...
- Et c’est toujours lui que tu vois ?
Ana hoche la tête.
- C’est toujours le même mais différent comme s’il
muait ou perdait ses plumes... Enfin, c’est l’impression que j’ai toujours eue
sans pouvoir y mettre des mots. Alors, quand tu as parlé de Serpent à Plumes,
ça m’a troublé. Il existe vraiment ?
- Oh oui !
Il est né chez nous et puis il est parti voir le monde. Il est arrivé au
pays des Toltèques, au Mexique. C’était un roi très juste, très pacifique ;
il leur a appris les arts et les sciences et il refusait les sacrifices
humains. Alors, ses ennemis ont comploté
contre lui, l’ont enivré et l’ont poussé à s’unir à sa propre soeur. Quand il
s’est rendu compte de ce qu’il avait fait, racontent les Toltèques, il s’est
enfui vers l’Orient : là, au bord de l’Océan Atlantique, il se serait jeté dans
un bûcher et son âme serait montée au ciel pour devenir l’Etoile du soir et du
matin que vous appelez Vénus. Malheureusement il a aussi dit qu’il reviendrait
un jour et quand Cortès a débarqué, les mexicains l’ont pris pour Quetzalcoatl.
Tu connais la suite.
- Mais quel rapport avec moi ?
- Ce que je viens de te raconter, c’est-ce que
croient les Toltèques. En vérité il est revenu chez nous et, non sans mal
d’ailleurs, il a réussi à fonder un nouvel âge de paix et de prospérité, où les
arts fleurissaient et où les hommes chérissaient la vie sous toutes ses formes.
Mais, au bout d’un long règne, il a encore été trahi et, dégoûté de tout, il
nous a quittés, définitivement, cette fois, en emportant avec lui tout son
savoir. Avant de partir, il a prophétisé que, puisque les hommes l’avaient
tellement déçu, notre salut viendrait d’une femme, étrangère de surcroît. Cette
femme serait l’Elue de Quetzalcoatl et, au jour du grand péril, elle nous
sauverait tous.
Ana le fixe un instant, porte ses mains à sa
bouche et murmure :
- Et cette femme, ce serait moi ? Mais pourquoi ?
- Pourquoi ? Je n’en sais rien. Peut-être parce
que tu as répondu à l’appel du cristal.
Songeuse, Ana tourne et retourne la pierre dans
ses mains.
- Pierre de lumière, murmure-t- elle
- Tu vois ! s’exclame Pedro. C’est ainsi qu’on
appelle les cristaux chez nous ; pierre de lumière. Comment le saurais-tu si tu
n’es pas l’Elue ?
Ana se mord les lèvres et déclare :
- Je crois que cela me fait peur.
- Tu n’as aucune raison d’avoir peur. Si
Quetzalcoatl t’a choisie, il te soutiendra jusqu'au bout, jusqu'au triomphe
final.
La jeune femme fait la moue :
- Mais ta prophétie, que dit-elle au juste ?
- « Quand les fourmis auront dévoré le
soleil, son fils ira de l’autre côté du monde accomplir le voyage à
l’envers ».
- Sous tous les cieux il y a un point commun,
soupire Ana, les prophéties sont toujours aussi embrouillées.
- Mais non, tout colle : « Quand les fourmis
auront dévoré le soleil » c’est l’attaque du village et, à vrai dire, j’ai
bien cru que le soleil s’arrêtait et que tout devenait nuit noire ; « le
fils du soleil accomplira le voyage à l’envers ». Le fils du soleil c’est
moi, le soleil est notre emblème.
- « De l’autre côté du monde » je
comprends mais pourquoi le voyage à l’envers ?
- Ca c’est plus compliqué. Une légende prétend que nos ancêtres les plus
lointains venaient de ce côté ci de l’Atlantique, plus précisément de Tartessos.
- Tartessos
? Ca c’est amusant. Mon père prétendait que nous descendions d’une princesse de
Tartessos. Heureusement, après plus de mille ans, il n’y a plus de problèmes de
cousinage.
- C’est heureux ! Parce que, malgré tout, seul je
ne peux rien. La prophétie est formelle :
Le Fils du Soleil
trouvera refuge à l’ombre du cactus et de la grande montagne mais il devra
découvrir mon Elue : seule l’Etrangère saura retrouver mes dons de paix et
retrouver mon tombeau, l’étrangère aux yeux de source, celle qu’élira le
Serpent à Plumes, la dame Quetzal des eaux gracieuses souveraine. Oiseau vert
et bleu qui annonce l’aurore, lumière dans l’ombre noire, elle rappellera de la
mort le fils du Soleil, la fille qui vient du Jour Levant. Ses mains dénoueront
une pluie de fleurs précieuses et repousseront la mort froide d’Atlan La Belle
et le dieu qui soutient dans sa main et le Ciel et la Terre jamais ne
s’éloignera de la Cité des Fleurs.
- Gracieuse souveraine ? répète Ana, stupéfaite
- Ca te dit quelque chose ?
- Plutôt oui : en hébreu, Ana Maria, signifie à peu prés « la gracieuse souveraine des
eaux ».
Le sourire de Pedro se fait éclatant.
- Alors pas de doute, tu es l’Elue. Et puis n’es
tu pas aussi Doña Quetzal ? Dès le premier jour, j’aurais du comprendre.
L’Oiseau me présentait sa Dame. Quant aux yeux couleur de nuit...
- Quand j’étais enfant, Isabel me disait souvent
« Montre tes yeux que je voie la couleur du temps » J’adorais ça.
- Tu m’en diras tant ! Et après ?
- Après, je
dois trouver le jour dans l’ombre noire. Et c’est exactement ce que je ressens
pour toi.
- Mon soleil, murmure Ana.
Pedro a un petit sourire en coin.
- Il n’y a qu’une chose que je ne comprends pas :
une montagne et un cactus doivent me protéger et là, je sèche.
Ana se met à rire.
- Il a de l’humour, ton quetza... ton dieu. La
montagne, la grande montagne même, c’est Montemayor, mon parrain.
Interloqué, Pedro demande.
- Et le cactus ?
- Pas le cactus, l’ortie. Ortega, c’est à dire
Manuel. Qui s’y frotte s’y pique.
Pedro hoche la tête, impressionné.
- Et c’est bon pour nous tout ça ? demande Ana. Parce
que, sauver le monde c’est bien mais j’aimerais autant en profiter.
- Ne t’inquiète pas. Tu dois « rappeler de la mort le fils du
soleil » Et c’est exactement ce qui s’est passé. Tu m’as rappelé à la vie et ma vie maintenant
c’est toi.
- Elle commence à me plaire, ta prophétie,
ronronne Ana.
Il l’attire à lui.
- Tu es bien « la Fille qui vient du jour
Levant », déclare ¨Pedro doucement, comme Quetzalcoatl vient de Vénus.
Mais toi, en plus, tu es venue pour moi. Tu es mon miracle personnel.
- Et j’espère bien le demeurer.
- Faisons confiance à Quetzalcoatl. Si tu dois
« repousser la mort froide de la Cité des Fleurs ».et
« dénouer une pluie de fleurs précieuses », cela suppose évidemment que nous allons rentrer
chez moi.
- Nous allons rentrer chez toi ? relève Ana.
L’indien a un petit sourire triste.
- Tu sais bien qu’ici rien n’est possible et je ne
veux pas te perdre.
- Moi non plus.
Après tout, Angelina m’a prédit que j’épouserai l’orage.
Pedro se met à rire.
- Sacrée Angelina, elle sait ce qu’elle dit. Mon
nom indien est Xuatl : feu et eau, orage. Je suis né pendant une nuit d’orage. Il
parait que mon père expliquait à qui voulait l’entendre que toute la nature s’y
mettait pour fêter ma naissance.
- Et encore, il ne savait pas tout ... Il ne
savait pas quel homme merveilleux tu deviendrais.
Un temps. Pedro
la berce doucement.
- De toute façon, poursuit Ana, Angelina m’a aussi
dit que je devrais laisser ici la moitié de mon cœur mais qu’en échange,
j’aurai un amour éblouissant comme le soleil.
- Ca, je te le promets.
Ana se rembrunit.
- Mais tu as raison, ici, rien n’est possible. Il
serait plus facile à Manuel de faire apparaître Tito d’un simple claquement de
doigt.
Le son mélodieux des cloches leur parvient d’au
delà le jardin parfumé.
- « Seigneur, faites de moi un instrument de
Votre paix », murmure -t- Ana en se
blottissant dans les bras de son ami.
- Tu crois que Manuel va réussir à retrouver Tito
? s’inquiète-t- elle.
- Aucun doute là dessus. Il a la foi qui traverse
les océans.
- Qui renverse les montagnes, corrige doucement
Ana.
- Si tu veux.
Nous aussi, nous traverserons l’océan et nous rentrerons tous les deux
chez moi. Et nous serons heureux. Parce
que je le veux.
Ana sourit et murmure.
- A Dieu vat.
Inch
Allah. Hébreu[A1] . Sossa NinTia
[A1]Trouver phrase en hébreu
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 3 autres membres