A SUIVRE Le Voyage à l\'envers

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CHAPITRE 89 Mise en garde

CHAPITRE 89 Mise en garde

L’incident n ‘est pas encore connu et Pedro donne tous les détails à Manuel. Celui ci, perplexe, triture sa moustache.
    -  Tu as raison, dit-il, on ne peut pas laisser passer ça.  Il faut l’éduquer ,cette petite.
    -  Je crois que j’ai une idée, dit Pedro.
    -  Si c’est la même que la mienne, on va se gondoler les boyaux. Raconte.
        Peu de temps après, un magnifique carrosse stoppe devant la maison de Luz. Un laquais en livrée en descend et demande à voir la maîtresse de maison. Luz arrive bientôt, d’un pas qu’elle croit majestueux. Le laquais s’incline jusqu' ‘à terre.
    -   Mon maître Don José est si ravi de vos services qu’il aimerait s’entretenir avec vous une nouvelle fois.
    -  Vraiment ? minaude la jeune femme
    -   Je cite mon maître « Il est si rare de trouver l’intelligence et le sens du devoir unis à la beauté et à la grâce ».
 Luz rougit d’aise sous le compliment.
    -  Pouvez -vous attendre un instant que je m’apprête comme il faut ?  Je suis en tenue de ville et bien indigne de monseigneur.

Le laquais prit un air contrit.
    -  C’est que monseigneur va devoir partir au palais royal où Sa majesté le demande et personne ne sait quand il va rentrer. Et il tient absolument à vous voir.
Luz se mord les lèvres, hésite un instant et finit par attraper une mante noire dont elle s’enveloppe avec soin.
    -  Je vous suis.
Une fois installée dans le carrosse, Luz se prend à rêver. Et si Don José l’accueillait dans sa cour ? Si Cristobal et elle avaient le droit de fréquenter le palais du Cambron comme des familiers, presque des intimes ? Voilà qui arrangerait bien leurs affaires et imposerait silence à Ana. Luz pince les lèvres : Ana !  Ana qui a toujours bénéficié de l’appui du marquis. On va bien voir quelle tête elle fera quand Luz, elle, aura l’appui de son fils ! La jeune femme, perdue dans ses rêves de gloire et de splendeur, s’imaginant déjà croulant sous les ors, les fourrures et les pierreries, ne s’aperçoit même pas que la voiture est sortie de Tolède. Tout à coup un cahot plus violent que les autres la ramène aux réalités.  Machinalement, elle regarde par la portière et sursaute. A perte de vue, des prés envahis d’herbes sèches et d’arbres torturés ; de ci delà, affleure la terre rouge de Castille, terre de feu et de sang. Inquiète, elle heurte la paroi et appelle le cocher. Aucune réponse. Elle se retourne alors et tente d’interpeller le laquais accroché derrière le carrosse.  Mais lui aussi reste sourd à ses appels.   De plus en plus inquiète, elle tente d’ouvrir la porte. Mais elle est fermée à clé et de plus, le carrosse roule à vive allure.  Tous ses rêves de gloire l’ont quittée et elle tente de réfréner la panique qui l’envahit. Soudain, elle sent la voiture ralentir, s’engager sur un chemin chaotique et soudain s’arrêter. Presque aussitôt, la porte s’ouvre et le laquais apparaît.
    -  Si madame veut bien se donner la peine de descendre.
 Terrifiée, Luz se recroqueville dans le coin le plus éloigné du carrosse. Alors, sans cesser de sourire, le laquais pénètre dans la voiture, attrape les poignets de la jeune femme et l’attire à lui sans ménagement. Luz tente bien de résister mais tombe du marchepied dans une flaque de boue. L’homme éclate de rire, la remet vivement sur pied et la pousse devant lui. La nuit commence à tomber et Luz distingue à grand peine la silhouette fantomatique d’un moulin.  Sur le seuil, elle s’arrête un instant mais un vigoureux coup de genou la fait avancer.  Aussitôt la porte se referme et elle entend qu’on met la barre.  Le moulin semble vide malgré deux chandelles qui luisent faiblement. Le cocher et le pseudo - laquais   la poussent contre une poutre et entreprennent de l’y attacher, bras et jambes en croix. Les yeux agrandis de terreur, la jeune femme trouve la force d’articuler
    - Mais que me voulez vous à la fin ? Si c’est de l’argent, je vous préviens que je ne suis pas riche.
    _ Qui te parle d’argent ? lance le cocher
    - Mais alors quoi ?
    -  Tu le sauras bien assez tôt ; réplique méchamment l’homme.
    -  Quand ? Quand ?
    - Quand le maître l’aura décidé, répond l’homme avant de s’éloigner définitivement avec son compagnon.
Restée seule, presque sans lumière, Luz se débat et essaie de distendre ses liens. Mais rien à faire, elle est bien attachée et ne réussit qu’à se meurtrir chevilles et poignets.  Elle tend l’oreille mais ne perçoit que le hululement sinistre d’un hibou et le sifflement du vent dans les arbres. Tout à coup à coup, un volet claque ; une porte grince ; les marches craquent. Des ombres vont et viennent, des bruits de bouteilles et d’épées se font entendre ainsi que d’autres bruits terrifiants qu’elle ne parvient pas à reconnaître. Tout à coup une flamme rouge troue l’obscurité et Luz distingue un brasero incandescent d’où dépassent pointes et tenailles. Elle sent une sueur froide courir le long de son échine et les épouvantables histoires entendues aux veillées lui reviennent en mémoire.  Certains bandits, avant de dépouiller leurs victimes et parfois de les assassiner, prennent plaisir à les torturer sans fin, sans autre raison que la jouissance que leur procurent les cris et les souffrances des malheureux.  Elle avale sa salive. Brusquement une autre idée lui traverse l’esprit. Et si ces hommes décidaient d’abuser d’elle et d’en faire leur jouet. Elle a entendu ces horribles récits où des malheureuses devaient subir les outrages de brigands des heures, voir des jours durant. Elle tremble de tous ses membres : visiblement le moulin est abandonné et personne ne viendra à son secours. Elle est à leur merci ; Dieu sait ce qu’ils peuvent inventer, digne des tourments de l’enfer. Peu à peu des chandelles s’allument et la clarté se fait plus vive.  Luz voit alors une vingtaine d’hommes qui la fixe cruellement. Elle ne peut distinguer leurs traits car tous portent bandeaux, foulards, masques ou larges chapeaux qui leur cachent le visage. Un instant, ils l’observent sans parler comme s’ils la jaugeaient. Sous leurs regards insistants, Luz rougit violemment.

 Puis l’un d’entre eux prend la parole.
    -  C’est pour ça qu’on nous a dérangés ? Elle n’a pourtant pas l’air d’en valoir la peine.
    -  Trop maigre, trop osseuse, ajoute l’un.
    -  Et avec toute cette peinture sur le visage, impossible de savoir si elle est jolie mais ça m’étonnerait.
    -  C’est vrai, ça, on voit rien, proteste un autre en se tournant vers une large matrone aux formes rebondies. Dis donc, la mère, enlève lui donc son manteau et débarbouille là, qu’on sache à qui on a affaire.
    -  Tu peux pas le faire toi même, sacripant ? rage la commère.
    -  Pour l’instant, on a des égards, réplique l’homme en éclatant de rire. Tout à l’heure, elle te regrettera !
 La vieille s’approche de Luz, terrifiée et lui arrache sa mante. La jeune femme frissonne.
    -  t’inquiète pas, ma jolie, y sont pas méchants. Y veulent seulement un peu de bon temps.
Puis elle plonge une éponge dans un seau et entreprend de débarbouiller sa victime. Luz tente de se soustraire à l’humiliation mais rien à faire, la femme la récure comme une assiette sale et ne la lâche qu’une fois sa besogne achevée.  Luz secoue la tête, les hommes éclatent de rire.

-  Finalement, elle était mieux avant, lance un grand sec

 -  Ouais, assène un petit rondouillard, au moins, on voyait pas sa tête !
 Luz prend son courage à deux mains - si l’on peut dire - et demande en tremblant :
    - Que voulez vous faire de moi ? Et pourquoi suis-je ici ?
Aussitôt une gifle sonore s’abat sur elle.
    -  J’t’en pose, moi, des questions ? éructe le grand sec. Faut attendre le chef.
    -  Le tien ou le mien ? demande le petit rondouillard.
    -  Les deux. Ca m’étonnerait qu’y - z - aient pas de bonnes idées.  Tu te rappelles la dernière fois ? On a bien rigolé.
    -  Attends que j’ me souvienne, dit son compagnon en se prenant le menton. C’est pas la fois où le marchand a mis trois jours à mourir ?
    -  C’est ça. On avait bien dosé et on l’a entendu hurler jusqu’à la fin.
Le grand sec de retourne vers Luz.
    -  L’avantage, ici, c’est qu’on est loin de tout. Personne n’y vient jamais et la forêt étouffe tous les cris. Et puis le moulin est solide. Impossible de s’en échapper.
    -  S’échapper ? relève un autre. Pour aller où ? Dans le ravin ou dans le torrent ?
    -  Madame préfère peut - être les tanières des loups ou des ours ? renchérit un troisième.
A ce moment précis, on entend la porte s’ouvrir et des voix s’élèvent.

    -  Alors, elle est là ?
    -  Comme vous l’aviez demandé, maître.
    -  Bien. Voyons un peu.
Luz voit alors avec effroi deux hommes s’approcher. L’un d’eux est très grand, mince, avec une longue épée traînant sur ses talons. L’autre est plus petit, plus ramassé et porte des gants. Tous deux sont masqués. Ils de dirigent lentement vers Luz qui semble se recroqueviller sous leur regard.
    -  Enfin, murmure l’un d’eux.
La jeune femme avale sa salive.

    -  Que me voulez vous ? articule- -t-elle

    -  Régler nos comptes, assène le plus grand.
Luz le regarde sans comprendre.
    - Que me reprochez-vous ?

L’homme éclate de rire.
    -  Et elle le demande !  Mais, ma mignonne, t’es une vraie plaie dans une ville. Tiens, je parie que t’as jamais fait l’aumône à un pauvre.
    -  C’est pas vrai, je donne toujours à la quête ! proteste Luz.   

 -  Ben, tiens, quand tout le monde te voit, ça oui ! Mais combien de fois tu as repoussé ou bousculé un mendiant ?
   Un boiteux s’appuyant sur sa béquille s ‘approche.
    -  Ca, c’est bien vrai. Je me souviens d’une fois, je lui demandai l’aumône, elle m’a retiré ma béquille et elle riait comme une folle de me voir tomber.
    -  Et moi, elle m’a dispersé toute ma monnaie avec son pied, ajoute un autre.
Éperdue, Luz les regarde l’un après l’autre, quêtant un regard moins sinistre que les autres. Mais tous ont le même air féroce.
    -   Si j’avais su... balbutie-t- elle, croyez bien que...
    - C’est plus le moment, lance un boiteux. Un jour, mon petit frère a volé une pomme à un étal. Comme il passait près d’elle, elle l’a fait tomber. Le marchand a tellement battu le petit qu’il est resté couché huit jours.
   -  Mo aussi, je veux que cette garce soit punie, martèle un grand maigre. Elle a dénoncé ma cousine comme prostituée parce qu’elle vivait avec un esclave noir et elle a été fouettée en place publique.  Et le noir, c’était mon ami. On a mis du lard dans ses plaies et on y a mis le feu.

  -  Et ma soeur ? Elle était servante chez elle. Elle l’a fait trimer du matin au soir et même la nuit. Faut voir comment elle la traitait. C’était jamais bien fait, elle trouvait toujours à redire. Et j’ vous parle même pas des repas ! Et bien, au bout de six mois, ma soeur a voulu partir. Alors, elle l’a accusé de vol et elle l’a chassée sans la payer. Ma soeur a eu un mal fou à prouver son innocence et elle a passé un an en prison.
Les hommes sont déchaînés et chacun déverse ses rancœurs devant Luz atterrée. Au bout d’un moment, le grand bretteur que les autres ont appelé maître prend la parole.
    -  Nous sommes bien d’accord. Nous avons tous quelque chose à lui reprocher et pour tout le mal qu’elle nous a fait, elle doit payer. Qui a une idée ?
    -  On pourrait peut - être l’attacher dans la forêt et voir si les loups et les ours en veulent.
    -  Pas mal, dit le bretteur. Je connais justement un endroit où ils passent souvent.
   -  Ce serait trop cruel, intervient son compagnon ganté.
   Luz reprend espoir. Pas pour longtemps.
    -  Cruel ? répète le bretteur.
    -  Oui, pour les loups. Ils n’ont pas mérité qu’on les empoisonne.
Tous éclatent de rire.
    -  Tu as raison mais c’est dommage. Ca aurait pu être rigolo.   

 -  On pourrait aussi l’attacher à deux saules qu’on rapproche, propose un autre. On coupe les cordes et ça l’écartèle.

  L’homme ganté fait la moue.
    -  Trop rapide. On n’aura même pas le temps d’en profiter.

    -  Vu le nombre de personnes qu’elle a dénoncé, on pourrait peut - être la fouetter jusqu' à ce que mort s’ensuive, suggère un mendiant.

     - Et la mettre à combattre avec des chiens féroces ?

    - Ca pourrait être drôle mais il y aurait même  pas de combat : ils la déchiquetteraient tout de suite.

    -  Intéressant, affirme l’homme ganté, mais j’ai une meilleure idée.

    -  Raconte, demandent avidement les autres.
    -  On lui passe une corde sous les bras et on la fait descendre petit à petit sur un feu bien vif.
Des sifflements admiratifs se font entendre.
    -  Excellente idée. Ca, ça peut être drôle. Ca lui donnera un avant goût de l’enfer.
    -  N’empêche, intervient le bretteur. On peut encore trouver mieux.  Y a des marais, pas loin. On pourra la jeter dans les sables mouvants.

    -  Plus tard, dit l’homme ganté. Quand on en aura fini avec elle.
Luz les regarde les uns après les autres.
    -  Vous n’oserez pas ! Et d’abord, on va me chercher ! Les gens ne disparaissent pas comme ça.
    -   Tu crois que t’es si importante que ça ?  Ton mari doit être tellement bien sans toi qu’il ne va pas te chercher, crois- moi !

Tous éclatent de rire. Luz fond en larmes. Le bretteur hausse les épaules.
    - Regardez-moi cette mauviette !
Puis il se tourne vers ses hommes.
    -  Alors ce feu, c’est prêt ? Et n’oubliez pas la poulie !
L’homme ganté s’approche de Luz et lui prend le menton.
    -  Alors, ma mignonne, c’est moins drôle que d’attaquer les autres ?  Tout dépend du côté où on est, non ?
Cette fois c’en est trop et Luz s’évanouit. Un grand seau d’eau la ramène à elle.
    -  Pitié, gémit elle, pitié.

    -  Tiens, lance le boiteux, c’est exactement ce que disait mon petit frère.
    -  Tu ne mérites aucune pitié, lance l’homme ganté. Tu es lâche, mesquine, méchante. Il est temps qu’on t’apprenne ton devoir.
    -  Le feu est prêt, lance un homme.
Trois hommes se précipitent alors vers Luz et tentent de la détacher. Mais la jeune femme se débat comme un beau diable et hurle à pleins poumons.
    -  Lâchez moi, vous n’avez pas le droit. Brutes ! Je ne veux pas ! Je ne veux pas !
A ce moment, la large matrone qui l’a débarbouillée s’avance et s’adresse à ses acolytes.
    -  Vous n’y êtes pas. C’est pas comme ça qu’on trait une mijaurée de son espèce.  Qu’est- ce que vous voulez faire ? Vous fatiguer encore à la détacher et à recevoir des coups de pied ?  Et tirer la corde ? Pas sûr que ça en vaille la peine. Si son cœur lâche, vous aurez bonne mine.
    -  Qu’est- ce que tu proposes, si t’es si maligne, lance rageusement le boiteux.

La matrone s’approche de Luz qui tremble de tous ses membres et lui soulève le menton.
    -  D’accord, elle est pas terrible mais p’tête que le reste est passable. Si on regardait ?
    -  D’accord ! hurlent les hommes en se précipitant.
Négligeant les cris de Luz, ils attrapent chacun un pan de vêtements et tirent de toutes leurs forces. Bientôt la jeune femme est entièrement nue, livrée aux regards concupiscents des bandits.

 -  En fin de compte, elle est pas si mal.  Dommage qu’elle ait si peu de fesse et de tétons.
La vieille s’approche de la jeune femme et lui prend les seins à pleines mains.

   -  Comment ça, pas de tétons ? Regarde moi ça.
    -  Mwouais, j’ai vu mieux.
    -  Faudra t’en contenter, mon gars.
L’homme ganté intervient.
    -  Ca me donne une idée.  Si on la vendait ? Au moins elle nous rapporterait quelque chose.
    -  Mais c’est pas bête du tout, ça, approuve le bretteur. On arrivera bien à l’acheminer jusqu' Séville. Là, on pourra même la vendre aux Barbaresques. Je connais du monde.
    -  Tu crois qu’y - z - en voudront ? demande le boiteux, ironique.
    -  Pas pour le harem du sultan, non. Mais pour un marchand ou un paysan, pourquoi pas ? Pour ce qu’on en a à faire...
    - Taisez-vous, mais taisez vous !  éclate Luz entre deux sanglots.
Mais les hommes négligent cette intervention et continuent leur discussion de maquignon. Luz se met à hurler.
    -  Au secours ! Au secours !
 Le bretteur s’écarte d’elle et saisit un fouet.
    -  Mais c’est qu’elle nous casse les oreilles !
Le fouet siffle, Luz pousse un hurlement et se tait aussitôt, muette de peur.
    -  Te plains pas, lance le grand maigre. Ma cousine c’est cinquante coups qu’elle a reçus à cause de toi.
La matrone intervient encore.
    -  Décidément, vous aimez la complication. Tout ça, c’est trop fatigant et trop risqué.  J’vais vous dire, moi ce qu’il faut faire.  Ces filles là, ça ce croit tout permis. Mais si c’était elle, la servante ? Comment ça se passerait ?  Alors, voilà. Le repas est prêt. C’est elle qui va nous servir et elle va être très obéissante. Sinon...

-  t’es vraiment la meilleure !

- Passez moi une robe, poursuit la matrone Ou plutôt non un sac.  Un bête sac. J’vais lui tailler une robe de cour, moi !

L’homme ganté s’approche alors de Luz et sort un couteau qu’il lui met sur la gorge.
    - Écoute-moi bien,-toi. On va te détacher et tu vas être très gentille. Sinon je te saigne comme un poulet.
Luz hoche la tête. L’homme desserre ses liens et la jeune femme s’affaisse sur le sol. Il la relève rudement et la pousse au milieu de la salle, sous les rires et les quolibets. Devant le feu qui rôtit les poulets, la jeune femme frissonne.
    - t’inquiète pas, lance l’homme ganté, goguenard, il n’est pas pour toi !

La   matrone s’approche et lui tend le sac.

- Tu l’enfiles toute seule ou je te sers de camériste ?  Et dépêche toi, faudrait pas que ça refroidisse !

Ne sachant trop comment agir, Luz s’approche de la grande table et présente le plat au premier convive.
    -  Sers- moi, et vite ! ordonne celui ci en appliquant une claque sonore sur les fesses de la jeune femme. Elle s’exécute aussitôt et fait ainsi le tour de la table. Les hommes s’en donnent à cœur joie et elle ne compte plus les claques, baisers et autres caresses dont ces messieurs la gratifient.  Mais sa maladresse lui vaut aussi les remontrances et les gifles de la matrone.
    -  Alors, toi qui es toujours si exigeante avec tes domestiques, c’est si simple de servir ?
Alors qu’elle s’en retourne avec une pile d’assiettes sales, un homme l’attrape par les cheveux et la force à se retourner. Il l’embrasse goulûment pendant que les assiettes s’écroulent avec fracas.  La matrone lui apporte un seau et un balai.
    -  Ramasse et vite. Après tu feras la vaisselle.
Les larmes aux yeux, Luz obéit sans mot dire. Pendant ce temps, les hommes chantent, mangent et boivent avec de grands éclats de rire. Tout en faisant la vaisselle, Luz, épuisée, terrifiée, prie avec une ferveur sincère, sans doute pour la première fois de sa vie.  Le repas lui semble interminable.  Terrifiée, elle tend l’oreille et écoute les discussions des hommes.  Mais ce qu’elle réussit à comprendre ne fait qu’augmenter son angoisse et des images horrifiques passent devant ses yeux. Dans le meilleur des cas, elle devient le jouet des brigands et dans le pire, elle meurt dans les pires souffrances. Soudain on l’appelle.  L’homme ganté lui prend violemment le bras.

- Ecoute-moi bien.  Mes compagnons auraient volontiers passé la nuit avec toi. Mais , moi,je pense que tu n’es même pas capable de donner du plaisir à un homme. Et je ne veux pas avoir affaire avec toi. J’aurais peur de me salir.
Le bretteur s’approche et examine Luz.
    -  Au fond, tu n’as pas tort. C’est pas vraiment mon genre. Trop maigre.
 Ne sachant trop que craindre ou qu’espérer, Luz, se couvre le visage de ses mains.
    -  Au fond, rappelle le bretteur, qu'est-ce que qu’on voulait ? Lui donner une leçon et lui faire payer ses méfaits.  On a réussi, je pense. Maintenant, il faut s’assurer qu’elle ne recommencera pas. 
Il se tourne alors vers Luz.
    -  Toi, tu n’as pas intérêt à recommencer tes saletés.  Et que personne, jamais, n’ait à se plaindre de toi.  Parce que dis-toi bien qu’on sera au courant. Et là fini, les menaces. Tu regretteras d’être née. Dis toi bien que, par rapport à ce que j’ai en tête, ce soir c’était le paradis.
L’homme ganté s’approche.
    -  Nous commencerons par te livrer à nos hommes et parmi eux, nous aurons invité quelques lépreux. Après, je te jure bien que nous épuiserons sur toi toutes les tortures de l’enfer. Et pour finir, nous t’abandonnerons dans la forêt, avec les loups et les ours. C’est clair ?

Affolée, n’osant pas trop croire à son salut, Luz hoche la tête. Le bretteur ricane.

-  En attendant ces réjouissances, dis- toi bien que tu as une chance incroyable. Le jour n’est pas encore levé et tu vas pouvoir raconter ce que tu veux à ton mari. Je te conseille d’être convaincante. A la moindre entourloupe, tu lui expliqueras comment nous sommes en possession d’une si jolie robe. Je suis sûr qu’il la reconnaîtra.
 Le carrosse file sur la route et bientôt, elle se retrouve devant chez elle. Cramoisie, elle frappe à la porte. Heureusement, la servante lui ouvre presque aussitôt.

- Madame ?  Mais d’où venez-vous ?

- Est-ce que ça te regarde, idiote   ?  éclate la jeune femme en la bousculant rageusement.



22/04/2009
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