A SUIVRE Le Voyage à l\'envers

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CHAPITRE 86 N’est pas espion qui veut

CHAPITRE 86 N’est pas espion qui veut     

Pedro lance un regard prudent par la fente du mur, s’assure que personne ne peut le voir, pénètre dans le jardin et se glisse jusqu’à sa chambre. Il attrape rapidement des vêtements de rechange, regagne le jardin et se dirige vers les bosquets situés au fond du jardin. Là, il écarte quelques pierres et s’engage dans un souterrain très étroit qui conduit à une petite pièce voûtée assez sombre. Il fouille sous une pierre, en sort des allumettes et allume deux bougies fichées dans un pot rempli de terre. Puis il replace les pierres masquant l’entrée, pousse un long soupir et se laisse tomber par terre. Aussitôt il réprime une grimace : sa rencontre matinale avec Don José ne l’a pas laissé indemne, c’est le moins qu’on puisse dire.  Les menaces de Don Alejandro l’avaient retenu un temps mais désormais il s’enhardit.  Dans un coin de la pièce, assez humide, coule une toute petite source. Il s’en approche avec peine, enlève aussitôt sa chemise déchirée, la trempe dans l’eau et se la passe sur tout le corps. Don José n’y est pas allé de main morte mais heureusement, le visage n’est pas atteint et il sera assez facile de dissimuler les hématomes dont il est couvert.  Et tout ça parce que Don José tenait absolument à avoir des renseignements sur Ana... Des renseignements ... Il avait été bien incapable de lui en fournir.

« - Je n’ai rien vu de suspect, monseigneur

- Tu as bien regardé, au moins ?

- Autant que j’ai pu, monseigneur mais rien.

- Pas de visites suspectes ?

- Don Esteban, Don Alejandro, des habitués.

- Pas de paroles dangereuses ?

- Je n’ai rien entendu, monseigneur.

Don José n’est pas d’un naturel patient, l’indien s’en était bien rendu compte. Il s’était emporté.

- Quoi ! Cela fait plus d’un mois que tu es chez elle et tu n’as rien vu, rien entendu qui puisse me servir !

Il avait eu beau expliquer qu’Ana n’avait vraiment rien à se reprocher mais Don José ne l’avait pas cru et avait voulu le faire parler toute force.

- Je te préviens, si jamais je découvre que tu m’as menti, tu regretteras d’être né ! Et Ramon prendra son temps, je te le jure ! Le fouet est son arme favorite mais il connaît bien d’autres moyens de délier les langues !

- Je vous obéirais bien volontiers, Don José mais je n’ai vraiment rien appris. Peut-être qu’elle s’est bien cachée ou ...

Il n’avait pu terminer sa phrase ; Don José, furieux, avait abattu sa canne sur son dos et lui avait assené une douzaine de coups bien sentis.  - Je vous jure que je ne sais rien, avait-il balbutié.

- Je l’espère pour toi, avait fulminé Don José. Maintenant file ! »

Il n’avait pas demandé son reste et avait même réussi à rentrer sans se faire remarquer. De toute façon qu’aurait il pu dire à ce maudit Don José ? Ce qu’il lui demandait était tellement absurde : s’il y avait de la fumée chez elle le samedi ou bien si elle mangeait des saucisses ... Quel intérêt cela pouvait il bien présenter ? Et puis de la fumée... Comment  faire  la cuisine sans allumer de feu ?  Et quel jour elle changeait de chemise ? En tout cas plus souvent que lui. Pedro se souvenait encore de certaines odeurs qui ne faisaient guère honneur à Don José ...Oui, tout cela était absurde. C’était bien une idée d’espagnol, encore une de ces stupidités auxquelles ils accordent de l’importance... Pendant quelques instants il laisse sa pensée vagabonder sur les innombrables méfaits dont ces hommes se sont rendus coupables... Mais, malgré tous les efforts qu’il fait pour s’occuper l’esprit, il revient toujours à la même idée : Don José l’a placé chez Ana pour l’espionner et il compte sur lui pour tenir la jeune femme à sa merci. Malgré la chaleur, il frissonne : Ana aux mains de Don José. Il secoue la tête pour chasser l’horrible vision mais elle revient sans cesse, obstinée, têtue, lancinante. Inutile d’avoir beaucoup d’imagination pour savoir ce que Don José veut faire d’elle : il la voit soudain se débattant dans les bras du conquérant, celui ci la renverse sur un lit, lui arrache ses vêtements...  Le jeune homme plonge ses mains dans la source et s’asperge abondamment.  La vision s’échappe, aussitôt remplacée par une autre, tout aussi terrible : Don José vient d’attacher Ana à ces anneaux qu’il connaît si bien et Ramon s’approche, menaçant ; le fouet claque « Non ! » hurle-t- il en se dressant d’un bond. Il a fait si vite qu’il n’a pas pris garde à la voûte et il se cogne violemment la tête. Une nouvelle fois il s’asperge d’eau fraîche et tente de se calmer. Cela n’arrivera pas. De toute façon, si Don José voulait agir, ce serait déjà fait. Et il ne lui a pas apporté d’éléments nouveaux... Donc Don José n’a aucune prise sur Ana et lui n’a pas de remords à avoir.  Il suffit de continuer comme ça... Don José finira bien par comprendre qu’il ne peut rien contre la jeune femme ... Et puis Don Alejandro est puissant, il la protégera ...  Elle est de taille à se défendre, tout de même, il l’a bien vu lors de l’attaque, elle ne s’est pas évanouie en appelant au secours... Elle est restée sur place et a assommé tous les brigands qui passaient à sa portée... Oui, une femme courageuse, loyale, fidèle... il soupire : tout son contraire, quoi... Lui qui était si respecté de ses hommes, de ses amis, de son père... A ce souvenir, sa gorge se serre : jamais plus il n’osera le regarder en face, jamais il n’osera avouer qu’il a espionné une femme qui ne lui a jamais fait que du bien... il hausse les épaules : ses chances de rentrer sont tellement minces... Encore plus minces si tu n’obéis pas à Don José, souffle une petite voix acide. Que t’importe Ana ? Ce qui compte, c’est de rentrer. Donne à Don José ce qu’il demande, invente le au besoin. Alors il repartira, il t’emmènera et tu reverras enfin Atlan ... Atlan : les images chéries se pressent devant ses yeux, y rentrer, enfin.  Obéis ou tu ne rentreras jamais, insinue la voix, tentatrice. Jamais ... Il frissonne… Mais il secoue la tête : rentrer d’accord mais pas à ce prix. Rentrer mais pas en laissant derrière lui une innocente détruite grâce à lui. Jamais tu ne rentreras, répète la petite voix, têtue... Il respire profondément, se change en grimaçant et sort enfin à l’air libre.


07/04/2009
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