A SUIVRE Le Voyage à l\'envers

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CHAPITRE 82 Des projets plus ou moins avouables

CHAPITRE 82 Des projets plus ou moins avouables

Le départ des trois compères ne laissa aucun regret, bien au contraire, et tous accueillirent la nouvelle avec soulagement.  Gelmirez réussit même à se réconcilier avec Don José et promit de l’inviter à sa prochaine pendaison de crémaillère. Le galicien n’a pas chômé. Son nouveau palais est princièrement équipé.  Il rectifie la position d’un tableau et recule pour juger de l’effet produit.  Satisfait, il contemple un instant la peinture qui représente Saint Jacques triomphant des Maures.

           -   Si j’ai bien compris, lance une voix claire derrière lui, on est enfin installés ?

Le galicien se retourne et sourit à Sebastian.

           - Comme tu dis ! Les dernières tentures ont été installées hier et on vient de livrer la dernière caisse d’argenterie.

           - Encore heureux que tu aies pu trouver un palais tout fait et tout meublé parce qu’au train où sont allés les dernières retouches, on couchait à l’auberge jusqu ‘au Printemps !

Gelmirez soupire.

           - Pourquoi faut il tout le temps que tu rouspètes ?

Sebastian hausse les épaules.

           - Enfin, déclare le jeune indien, on va avoir un peu de paix. Moi, les travaux et les rangements, j’en ai plus qu’assez !

           - Le déménagement est fini, certes mais il reste le plus important et le plus agréable.

           - Et quoi donc ? demande Sebastian vaguement inquiet.

           - Il faut pendre la crémaillère, voyons !

           - Pendre quoi ?

           - A vrai dire, la cuisine est déjà installée et nous n’avons pas besoin d’une crémaillère de plus, plaisante Gelmirez mais je vais inviter me amis à un bon repas pour inaugurer mon palais. Il faut bien fêter mon installation !

Sebastian lui lance un regard méfiant.

- Qu'est-ce que tu appelles tes amis ?

- Et bien, mes compagnons d’armes, par exemple. J’aimerais bien aussi   revoir Cortès.

- Tiens, vous êtes réconciliés ? La dernière fois, ça a pété feu et flammes, non ?

Gelmirez soupire.

- Décidément, rien ne t’échappe !

- Difficile de ne pas être au courant ! J’ai cru que vous alliez vous étriper ! Ca ne m’aurait pas déplu d’ailleurs.

Nouveau soupir de Gelmirez qui réplique sèchement :

- Et bien depuis, nous nous sommes revus plusieurs fois.

- Je croyais que tu ne pouvais pas lui pardonner, renchérit Sebastian.

-  Lui pardonner quoi ?

Sebastian hausse les épaules sans répondre.

- De toute façon, on ne peut pas toujours rester fâchés. Et puis je crois que José tient à le rencontrer.

- Enfin, cette saleté de Don Martin est parti ; ça sera toujours une crapule de moins.

Gelmirez lève les yeux au ciel.

- Fiche -moi la paix, je n’ai pas à me justifier !

- Dommage, tu fais ça très bien.

Gelmirez décide d’ignorer l’insolence et poursuit :

- Il m’a présenté un certain Pizarre qui a vu des merveilles et exploré un territoire complètement inconnu

- Belle réunion de massacreurs, grommelle Sebastian

-  Ca suffit !  J’ai toujours plaisir à   discuter avec quelqu'un qui a vu les mêmes pays et partagé les mêmes peines.

           - Arrête, je vais pleurer !

           - Tu m’agaces à la fin ! J’inviterai qui je veux, je ne sais pas encore, je vais voir. Tout dépend...

           - De ceux que tu veux épater. Et bien moi, je te préviens : si Don José et sa clique mettent les pieds ici, j’irai manger ailleurs !

Gelmirez se tourne vers lui, les poings sur les hanches et déclare d’une voix ferme :

           - Sebastian, tu me casses les pieds. Jusqu’à preuve du contraire, tu es encore mon serviteur et tu dois m’obéir.

           - Et jusqu’à preuve du contraire, tu t’es payé ce beau palais et tout ce qu’il y a dedans avec l’or que tu nous as volé !

Gelmirez lève les yeux au ciel

           -  Tu n’en finiras donc jamais !

Sebastian lui lance un regard méprisant, tourne les talons et quitte la pièce en prenant bien soin de claquer violemment la porte. Gelmirez soupire profondément et convoque son intendant pour discuter avec lui des préparatifs de la fête.  Pendant ce temps, Sebastian, de fort méchante humeur, erre sans but dans les rues de Tolède. Soudain, une voix le fait sursauter.

           - Et bien, Sebastian, tu as l’air bien soucieux !

Le jeune homme relève le nez et aperçoit Pedro qui le contemple en souriant.

           - Je t’ai vu arriver de l’autre bout de la rue mais tu fixais le sol avec tant d’obstination que ça m’a intrigué.  Qu'est-ce qui se passe ?

           - C’est Gelmirez, lance Sebastian, boudeur. Son palais est terminé.

           - Et alors ?

           - Alors ? Il veut fêter ça en invitant ses compagnons à un bon repas. Et tu sais qui ? Don José et sa bande avec en plus un certain Pizarre, une autre crapule comme lui. Alors ils mangeront sans moi ! S’il s’imagine que je vais servir de tels bouchers !

Pedro réfléchit un instant.

           - Je comprends ta réaction, déclare-t- il lentement, mais tu n’as peut -être pas choisi la meilleure solution.

           - Comment, pas choisi la meilleure solution ? s’insurge Sebastian. Tu veux que je fréquente de telles ordures ? Ca m’étonne de toi, Topiltzin ! On ne les a pas assez vus peut-être ?

           - Peut - être pas.

           - Alors là, je ne te suis pas du tout.

           - C’est pourtant simple. Au cours d’un tel repas, la bonne chère et les vins aidant, les langues se délient et on en apprend souvent bien plus en une heure qu’en toute une année. S’ils ressassent leurs souvenirs de guerre, nous apprendrons peut-être des détails sur la mort de Cuauhtemoc et la fin de Tenochtitlan. Nous n’avons jamais su le fin mot de l’histoire, tu le sais bien. Il y a encore beaucoup de zones d’ombre et bien des points que j’aimerais éclaircir.

           - Tu as peut-être raison, concède Sebastian.

           - Et puis ce Pizarre m’inquiète. J’en ai déjà entendu parler. C’est une brute sans foi ni loi qui veut repartir chez nous et s’attaquer à l’empire inca. Si seulement il pouvait ne jamais quitter l’Espagne... Plus nous en saurons et mieux cela vaudra...

           - Vu. Alors, je me soumets comme un bon petit valet que je suis, je sers à table et j’ouvre mes grandes oreilles.

           - C’est merveille de discuter avec toi, affirme Pedro avec un petit sourire en coin.

A son tour Sebastian réfléchit un instant.

           - Le tout, ça va être de faire passer mon revirement... Bah, je n’en suis plus à un caprice et à un mensonge près !

Pedro hoche la tête, amusé.

           - Tu sais que parfois j’en viens presque à plaindre Gelmirez ?

           - Et bien quoi, je l’aide à faire son salut, non ? En tout cas, c’est-ce qu’il me répète. Parait qu’avec moi il n’aura pas besoin de Purgatoire ! Je ne sais pas trop ce que c’est mais il a un air tellement convaincu ...

Les deux amis se séparent rapidement et, tandis que Sebastian retourne très lentement vers le palais, Pedro se dirige d’un pas décidé vers le Zocodover. Soudain, il avise Diego, nonchalamment appuyé contre un mur. Tout près de lui, deux hommes sont en grande conversation et le plus âgé d’entre eux ne s’aperçoit pas que le brigand est en train de lui soutirer sa bourse en douceur. Pedro attend patiemment que l’affaire soit faite et que les deux hommes se soient éloignés et rejoint son ami.

           - Dis moi, Diego, interroge-t- il, tu es toujours l’homme le mieux renseigné de Tolède ?

           - Personne n’a encore osé en douter.

           - Et je ne serai pas le premier, rassure toi. Mais j’ai besoin de renseignements.

           - A quel propos ?

           - Ce Pizarre qui est arrivé il y a quelques semaines, que sait-on de lui ?

           - Pauvre comme Job, courageux comme le lion et cruel comme le chacal. Il est venu réclamer au roi une aide qu’on lui refuse aux Indes.  Il avait été arrêté pour dettes et Cortès l’a fait libérer.

           - La solidarité des bandits, sans doute.  C’est tout ?

           - Non. C’est un bâtard et on dit qu’il a été élevé par une truie, ce qui expliquerait bien des choses. Pas de finesse, pas d’élégance et la grâce d’un bouledogue dont il a à peu prés le caractère et les méthodes. Il aurait exploré des régions inconnues et comme tout le monde, il s’imagine qu’il peut se tailler un empire grand comme toutes les Espagnes et découvrir tous les trésors d’Ophir.

           - Bref, un boucher, résume Pedro. Un de plus.

           - Si tu veux. En tout cas il a surtout rapporté quelques jolis cailloux, de drôles de bestioles qui tiennent à la fois du cheval, de la chèvre et du chameau et beaucoup mais beaucoup de rêves. Je crois bien que c’est là sa plus grande richesse.

           - Le ciel fasse qu’il n’en trouve pas d’autre...

Un temps.

           - Essaie d’en savoir le plus possible sur cet homme et aussi sur Alderete.

           - Sur Alderete ce sera plus facile, c’est le héros du jour et puis lui ce n’est pas un inconnu.

           - Ca non, grommelle l’indien, les dents serrées.

Puis plus haut.

           - Je compte sur toi, Diego, conclut-il.

           - Tu peux, hombre, tu peux. Je t’aurai tout ça dès que possible.

Pedro le fixe un instant.

           - Tu ne me demandes pas pourquoi ?

           - Ma foi, je doute que ce soit pour lui faire porter des fleurs mais ça te regarde. Que chacun se débrouille !

Pedro a un petit sourire en coin et quitte le bretteur.   De son côté, Sebastian a largement pris son temps pour rentrer au palais et trouve Gelmirez en train de discuter les détails de la fête avec son intendant.

           - Ah te voilà, mauvais sujet ! lance Gelmirez. Tu as fini de bouder ?

           - Appelle ça de la bouderie si tu veux, moi j’appelle ça des principes !

Gelmirez secoue la tête.

           - Qu'est-ce qu’il ne faut pas entendre... bougonne -t- il. Moi qui étais tellement content de la fin des travaux, tu vas me gâcher mon plaisir.

Sebastian hausse les épaules.

           - Bon, ça va.  Moi aussi, ça me fait plaisir que tout soit fini. Le retour de la tranquillité, tu as raison, ça se fête. Et puis je connais Don José, c’est un malfaisant. Je suis sûr qu’il serait ravi que ta fête soit gâchée d’une manière ou d’une autre. Et je ne vais pas lui donner ce plaisir.

           - Et en clair, ça veut dire quoi ?

           - Ca veut dire que tu n’auras jamais vu serviteur plus stylé.

Méfiant, Gelmirez fixe un instant le jeune garçon.

           - Je ne suis pas certain que ça me rassure mais baste ... C’est pour la fin de la semaine. Alors si tu n’as rien d’autre à faire...

           - Je pense que j’arriverai à me libérer !

Le galicien lève les yeux au ciel, termine son entretien avec l’intendant et adresse une courte mais ardente prière à saint Jacques, à qui rien ne résiste.


03/04/2009
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