CHAPITRE 7 Dona Quetzal
CHAPITRE 7 Doña Quetzal
Les Tolédans
se pressent dans les rues, impatients de contempler un nouveau spectacle : la
joyeuse entrée de don José dans la cité du Tage. On dit qu’il a affronté des
périls sans nombre et rapporté de son voyage maintes curiosités. L’excitation
monte, le cortège approche. En tête
du cortège, sur son cheval au poil lustré et brillant, tout caparaçonné d'or et
de brocart, resplendissant dans une armure étincelante, droit comme un I, vient
don José, héros de cette journée, aussi acclamé que Saint Michel un jour de procession.
Don Martin et Enrique Gelmirez partagent
la même gloire. Derrière eux marchent lieutenants et frères d'armes, plus
magnifiques les uns que les autres. Ensuite le butin minéral, animal, végétal.
De simples fantassins arborent des bijoux dignes d'un roi. D'autres exhibent
fleurs inconnues et plantes extraordinaires. D'autres encore tiennent des cages
où resplendissent des oiseaux féeriques. Enfin, suscitant la curiosité,
marchent les Indiens emplumés et embijoutés.
Tout à coup, l'un des hommes qui portent
des oiseaux trébuche, tombe à genoux et lâche la cage qui s'ouvre sous le choc,
libérant l'oiseau qui ne tarde pas à prendre son envol. Aussitôt le cortège
s'arrête. Pour ne pas gâcher la fête, don José retient un juron mais il faut croire que les oiseaux se moquent
des conquérants et de leur orgueil car il semble se jouer de tous. Petit point
lumineux, il monte, descend, virevolte, échappant sans cesse à son poursuivant.
Amusés par la scène, les nombreux spectateurs se gardent bien d'intervenir.
Tout à coup l'oiseau pique vers la foule, une main se tend et l'oiseau s'y
pose. Tous tentent de s'approcher de la jeune fille qu'il a choisie. Ils
peuvent ainsi admirer le bel oiseau : d'un vert émeraude lumineux, il a une petite
tête ronde tout ébouriffée et de longues plumes soyeuses. La jeune fille
s'essaie à le caresser et l'oiseau se laisse faire sans bouger. Son maladroit
poursuivant est proche maintenant, prêt à l'attraper. Mais à peine croit-il
mettre la main dessus que l'oiseau s'envole avec un petit cri moqueur. L'homme
peste, jure, blasphème même mais rien à faire : l'oiseau est parti dans la
direction opposée. Le maladroit refait donc difficilement le chemin, hué et
bousculé par ceux dont il écrase les pieds. L'oiseau est perché sur une
corniche et semble l'attendre, immobile. L'homme tente d'escalader le mur,
arrive à son faîte...pour voir l'oiseau s'envoler à nouveau. La gaieté de la
foule est à son comble quand l'oiseau décide de revenir sur la main de la jeune
fille. Les langues vont bon train.
-
Décidément, il y tient !
- Faut
avouer qu'il a bon goût, elle est ravissante !
- Mais qui
est-ce ?
- C'est doña
Ana Maria, la filleule du marquis de Montesclaros.
- Et
l'oiseau comment l’appelle-t-on ?
- Il paraît
que c'est un quetzal.
- Queczal ?
Quel nom barbare !
- Non pas
queczal, quet-zal !
- Ca ne
change rien !
Pendant ce
temps, les Indiens suivent passionnément le spectacle, ne quittant pas l'oiseau
des yeux. Le malheureux poursuivant aurait bien voulu mettre la main sur
l'oiseau mais la foule, devenue un bloc compact, ne le laisse plus s'approcher
et Ana -Maria est au troisième rang. L'oiseau se décide enfin à s'envoler, va
se percher sur l'épaule de l'un des Indiens et revient enfin vers la jeune
fille. Résigné, le poursuivant le suit des yeux, nez en l'air et tête au vent :
il ne réussit qu'à avoir le visage maculé par des déjections malodorantes.
- La
vengeance du quetzal ! crie quelqu'un parmi les rires.
Mais l'oiseau
s'est posé une deuxième fois sur la main de la jeune femme, aussi gênée et
intriguée qu'amusée. Quelqu'un lance "C'est doña Quetzal ! "
Le cri est repris par toute la foule qui scande : «
doña Quetzal, doña Quetzal, doña Quetzal ! »
Les Indiens
semblent de plus en plus passionnés. Enfin, l'oiseau s'envole une dernière fois
et monte dans le ciel pur, laissant derrière lui les conquérants et leurs
menaces. Tous retiennent leur souffle. Bientôt, il n’est plus qu'un petit point
lumineux. Il disparaît enfin, comme happé par le soleil.
La foule est
paralysée, le temps s'est arrêtée : tous ont l'impression d'avoir assisté à un
événement. Alors, don José ordonne aux musiciens de recommencer à jouer, au
cortège d'avancer, aux soldats de lancer des pièces d'or dans l'assemblée. Tous
semblent alors se réveiller. Mais les Indiens n'ont plus l'air triste :
ragaillardis, presque joyeux, ils font bonne figure à la foule redevenue
curieuse et le défilé finit en triomphe.
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