A SUIVRE Le Voyage à l\'envers

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CHAPITRE 66 Un cauchemar

CHAPITRE 66 Un cauchemar

- Ana, réveille-toi.

Pas de réponse.

- Réveille-toi, je t'en supplie.

Cette fois, la dormeuse, réveillée en sursaut, se dresse d'un bond.

- Qu'est-ce qui se passe ?

Domingo, en chemise de nuit, visiblement bouleversé, se tient prés d'elle.

-Tu es malade ?

- Non, c'est Pedro. Il s'agite, il appelle, on dirait qu'il est possédé.

- Ne dis pas de bêtises, il fait un cauchemar, c'est tout.

- Des cauchemars de ce calibre là, je n’en jamais vu. Il me fait presque peur.

Ana réprime un bâillement.

- Bon. J'arrive. Laisse-moi le temps de passer une robe.

Quand la jeune femme arrive dans la chambre où dorment les jeunes gens, elle comprend pourquoi Domingo est si impressionné. Dans un lit plus défait qu'un champ de bataille, Pedro se tourne, se retourne, en proie à une panique atroce. Sa tête roule frénétiquement sur l'oreiller, à droite, à gauche. Il se tord les bras, profère des mots sans suite, tantôt en espagnol, tantôt dans une langue inconnue. Parfois sa voix s'enfle jusqu'à la colère, puis retombe en plainte. Ses mains sont crispées et il ruisselle de sueur. Ana prépare une compresse fraîche et l'applique sur le front brûlant. Le jeune homme semble s'apaiser un instant.

- Il faut le réveiller, dit Domingo.

- Surtout pas. Un réveil brutal lui ferait plus de mal que de bien. Il peut s'apaiser sans se réveiller.

Attirée par le bruit et la lumière, Isabel est accourue. Ana lui sourit

- Puisque vous êtes là tous les deux, empêchez-le de se blesser pendant que je vais chercher des remèdes. Tenez- le bien aux épaules.

Pedro essaie bien de se soustraire à leur emprise mais, malgré sa force, voire sa violence, ils tiennent bon. Le jeune homme cesse alors de se retourner et reste immobile. Ana revient bientôt avec un panier chargé de pots et de fioles.

- Domingo, mets donc de l‘eau à chauffer.

 Elle s'assoit  au bord du lit, prend un linge et essuie la sueur dont le jeune homme est inondé. Pour ce faire, elle le découvre jusqu'à la taille et sursaute. Sur la peau brune, à hauteur du thorax, courent de fines cicatrices rosâtres qu'elle n'a aucun mal à identifier.

- Regarde, Isabel, la signature de Ramon. Il n'a pas dû ménager sa peine pour obéir à Don José.

Plus que la pitié, c'est la colère qui lui serre la gorge. Une colère instinctive, viscérale contre la bêtise et la lâcheté. Une colère que l'expérience n'a pu faire disparaître en la changeant en habitude.  Le dormeur s'agite. Elle lui essuie doucement le visage avec de l'eau de lavande et change la compresse. Il se réveille peu à peu et ouvre enfin les yeux. Ana croise son regard et sait qu'elle ne l'oubliera jamais : un regard d'enfant perdu, affolé, vulnérable. Elle sait aussi qu'elle n'aura jamais peur de lui. Elle lui sourit.

- Tu as soif ?

Il hoche la tête et boit avidement l'eau fraîche qu'elle lui tend sans cesser de sourire. Devant l'air inquiet du jeune homme, elle explique :

- Tu as eu un cauchemar.

Elle repose le verre vide et examine attentivement  le cou du jeune homme.

- Il faut absolument soigner cela.  Mais je risque de te faire mal. 

Elle se tourne alors vers Domingo et Isabel qui la regardent, interdits.

- Domingo, apporte-moi de l’eau chaude. Il me faudrait aussi des draps et une taie sèche et propre. Et puis, allez vous coucher tous les deux. Je m’en tirerai très bien toute seule.

Isabel lève les yeux au ciel, soupire mais obtempère sans mot dire. Ana nettoie consciencieusement les plaies.  Pedro a fermé les yeux mais il le sent tendu sous ses doigts.

- Comment peut on... grommelle-t- elle 

- Il faut bien enchaîner le bétail.

Pedro a rouvert les yeux. La réponse a fusé, presque malgré lui.  Il observe Ana, prêt à lire sa condamnation sur son visage. Mais la jeune femme sourit.

- Mon père ne supportait même pas un oiseau en cage. Alors...

Le jeune homme se détend un peu.

- Et puis il était médecin. J’ai appris très vite que la souffrance était l’Ennemie. L’Ennemie Majuscule.

Elle prend un flacon d'huile d'amandes douces et commence à en oindre les cicatrices. Il proteste faiblement.

- Ce n'est pas la peine.

- C'est toujours la peine

Elle s’interroge à voix haute

.- Je me demande si l’arnica peut te faire du bien, après tout ce temps. Tu as de la chance, ça ne s'est pas infecté. Mais il faut les assouplir. Ca doit te faire mal. 

Il a un petit sourire triste.  Elle poursuit.

- Dis moi, tu fais souvent des cauchemars ?

Elle le sent se raidir.

- Non. Je ne te réveillerai plus.

Elle hausse les épaules.

- Je ne te reproche rien. Mais je voudrais savoir. Appelle ça un réflexe de médecin si tu veux. Ce serait plus facile pour te faire une potion adéquate.

Il répète, incrédule.

- Une potion ?

Elle sourit.

- Le temps et le sommeil sont les meilleurs alliés du médecin. Le temps est dans les mains de Dieu mais je peux te procurer le sommeil. Car qui ne dort pas ne vit qu'à moitié.

Cette fois, il s'apaise complètement.

- Plusieurs fois par semaine, avoue-t- il.

- Et tu tiens encore debout ? Félicitations, tu es robuste. Et personne ne s'en est aperçu ?

Il hésite.

- Chez Don José, je dormais dans un cagibi très sourd. Et puis ils ne sont pas toujours aussi forts.

- C’est une chance ; si j’ose dire. 

Un temps.

- Dis moi,   tu fais toujours le même cauchemar ?

Elle le sent se raidir. 

-  C’est normal ; on a tous des souvenirs qui nous hantent, ajoute -t- elle gravement.

Elle l’observe un instant et d’une voix sourde :

- Moi, je rêve toujours de mon fils.

C’est à lui d’observer le petit visage tendu.

- Il est ...parti... il y a deux ans. Il n’avait que quelques mois.

Elle pose le flacon.

- Je peux voir ton dos ?

Il hésite et se penche en avant. En voyant les innombrables traces roses zébrant la peau brune, Ana serre les dents. Mais elle se ressaisit et enduit consciencieusement les cicatrices d'huile. Peu à peu, elle sent le jeune homme se détendre. Finalement il lâche :

- Le village... l ‘attaque...le bateau...

Elle devient grave.

- Je comprends. Sous toutes les latitudes, c'est la même chose : combats, massacres, viols, incendies. Je sais cela.

- Tu n'admires pas ces exploits ? lance-t- il, soudain amer.

Aussitôt, il se mord les lèvres, comme s'il regrettait son audace. Mais elle ne bronche pas.

- Je suis comme tout le monde. J'écoute les récits, j'admire les bijoux, je regarde les défilés. Mais toujours avec un pincement au cœur. Peut être parce que j'ai vu de trop prés les victimes de la folie des hommes.

Elle repose le flacon vide.

- Tu ne peux pas dormir comme ça.  C’est trempé. Où Domingo a--t-il encore fourré les draps ? Ah ce gosse...Les voilà.

- Je ne dormirai plus.

- Mais si. Mes potions sont très efficaces.

Cette fois, il sourit.

- Tu as des potions pour tout.

- Hélas non. Je ne peux pas remonter le temps. Lève-toi que je puisse refaire le lit.

Il s'enroule dans un drap, se lève et la regarde retaper le lit. Elle le fait si naturellement qu'il s'en trouve bouleversé. Elle le quitte un instant et revient en apportant une tasse fumante.

- Lait, miel, et aubépine et quelques petits secrets. J'espère que ce n'est pas trop chaud.

Elle le goûte attentivement.

- Non, ça va.

Pedro saisit la tasse et boit d'un trait. En lui rendant la tasse, il sourit.

- Merci.

Puis il se recouche et s'endort d'un bloc pendant qu'elle referme soigneusement la porte.


21/03/2009
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