A SUIVRE Le Voyage à l\'envers

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CHAPITRE 5 Pour bien commencer l'année

CHAPITRE 5 Pour bien commencer l'année

Quelques jours après, Ana -Maria Villaneja y Santa Cruz, filleule du puissant marquis de Montesclaros et grande amie de Don Esteban, entre autres, se hâte dans les ruelles tortueuses. En passant devant l'église Santo-Tomé, elle adresse un sourire lumineux au Christ bénissant qui la regarde passer du haut de la porte de chêne sculpté.  De taille moyenne mais souple et élancée, très droite, elle porte une austère robe bleu sombre assortie à ses clairs yeux bleu saphir. A son cou étincelle une croix d'or ouvragée   qui ressort vivement sur sa peau brune et mate. Ses abondants cheveux noirs sagement tressés autour de sa tête encadrent un visage à l'ovale parfait. La vivacité qu'elle met à marcher se retrouve dans tous ses gestes et jusque dans ses regards, évoquant l'agilité d'un jeune faon que le moindre bruit, le moindre mouvement effarouche. Mais cette inquiétude est tempérée par le pli ferme et décidé de la bouche.  Rue de la Trinité, elle avise un étal de fleurs et marchande avec le vendeur. C'est qu'il en faut des fleurs pour parer la maison, la rue et même l'église et celles de son jardin ne suffisent pas.  Les bras chargés, elle se dirige encore vers un marchand de parfums.

- doña Ana, ne me dites pas que vous manquez de parfums ? Vous, ma plus grande concurrente ! plaisante l'homme, jovial.

- Ne m'en parlez pas ! J'avais tout préparé, mais on m'a appelée au moment crucial et Domingo a tout laissé s'évaporer. Un vrai désastre !

- Je ne vais pas m'en plaindre ! Alors que désirez-vous ? C'est pour purifier la maison ?

- Bien sûr.  Comme chaque année.

A ce moment, on entend une voix de femme, rapide et aigrelette.
  - Il n'y a pas que la maison qui a besoin d'être purifiée.
Ana se retourne vivement mais la persifleuse a disparu. Elle soupire et regarde le marchand.
  - Luz évidemment, dit-elle.
 - Pas tout à fait, une de ses amies. Mais Luz était avec elle. Je l'ai bien reconnue.

  - Mes péchés doivent être énormes pour que Dieu m'ait envoyé une telle belle sœur en pénitence ! affirme Ana.

Le marchand avance des petits flacons.

- Alors que choisissez-vous ?

Ana en saisit un.

- Je peux ?

Le marchand acquiesce d'un sourire ; elle ouvre un flacon, respire l'odeur et le referme aussitôt.

  -  Satisfaite ?

- Bien sûr. donnez-moi de la rose, du jasmin et de la violette.

 Elle paie, fourre les flacons dans son panier et termine ses courses en se décidant pour deux grandes tentures de soie aux couleurs délicates.

  - Regardez comme elles sont belles plus douces que la peau d'un ange, assure le marchand.

Ana sourit, amusée.

- Je suppose que les prix n'ont pas baissé ? Enfin, depuis le temps qu'on en parle...Bien, je les prends mais faites les livrer ce soir sans faute, avant les vêpres.

Plus chargée que la mule d'un chanoine, elle remonte à grand-peine la justement nommée rue du Commerce, contourne Santo-Tomé, enfile de petites ruelles et heurte enfin la porte d'une maison   de pierre blonde. Presque aussitôt, la porte s'ouvre et un jeune garçon d'une quinzaine d'années se    précipite pour prendre les paquets.  La jeune femme s'effondre sur une chaise de la salle- à -manger.

- Je suis morte.

Attirées par le bruit, deux femmes fort différentes font irruption dans la pièce. L'une, grande et forte, le teint fleuri, bien en chair, arbore un tablier maculé qui dit assez son rang de cuisinière. L'autre, plus petite, menue, la peau plus blanche, les cheveux très noirs, trop même car on y distingue de ci delà une teinte rousse bien dissimulée, ses grands yeux verts emplis d'inquiétude, vêtue d'une robe très simple de couleur puce, a le port digne et réservé qu'on attend d'une duègne.             

- Tu as trouvé ? interroge la cuisinière.

- Les fleurs sont sur la table, Carmen. J'ai eu les dernières, il faut que cela suffise.  Et j'ai même trouvé des parfums. Comme ça nous n'aurons pas à supporter les bêtises de Monsieur Domingo, n'est-ce pas Isabel ?
L'interpellée pose son regard vert sur le jeune garçon d'un air qu'elle veut sévère. Celui-ci rougit violemment en secouant ses boucles noires.

- Je t'assure... commence-t- il
Mais Ana lui coupe la parole.

 - Paix. Je n'ai pas le courage de vous écouter et d'ailleurs tout cela est réparé. Je considère l'incident comme clos.

- Tu es trop bonne avec ce garnement, grommelle Isabel.

- Si nous ne lui pardonnons pas ses bêtises à   Pâques, dis-moi quand nous le ferons, remarque doucement Ana. Il faut que quelqu'un reste à la maison cet après-midi  On va livrer de nouvelles tentures.
-Es -tu passée à l'hôpital ? demande Isabel.
 - Très rapidement, juste le temps d'embrasser Valeriano.

- Il va bien ?
 - Il a l'air en bonne forme, affirme Ana, radieuse.   Il a quatorze mois maintenant. Quand je pense que c'est moi qui l'ai trouvé sous un arbre devant Santo -Tomé, ajoute-t- elle, rêveuse.

Isabel lance un regard rapide à Carmen.
 -   Qu'est-ce qui reste à faire ? demande-t- elle.

-   Il n'y a plus qu'à laver les carrelages à grande eau mais pour ça, il faut que certains dégagent !
-  Ca va, lance Domingo, j'ai compris l'allusion. Je m'en vais. Je vais faire un tour .Tu veux bien que Mariana vienne avec moi ?
- Si jamais il arrive quelque chose à ma fille, je t'écorche vif, menace Carmen. Mais c'est d'accord. Rentre avant les vêpres
Domingo file aussitôt, plus rapide qu'une hirondelle. Ana rit de bon cœur.




13/12/2008
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