CHAPITRE 102 Les doutes de don José
CHAPITRE 102 Les doutes de don
José
Don José remet sa cape et son chapeau à Domingo et
s'incline galamment devant Ana. Puis ils passent dans la salle basse. Le
conquérant s'assied sur un fauteuil tandis qu'Ana prend place sur l'estrade.
- Vous êtes particulièrement en beauté aujourd'hui,
madame.
- Je vous remercie du compliment. Puisse le ciel
bénir vos projets.
- Grâce à sa Sainte Garde, ils sont en bonne voie.
Il n'y faut plus que l'aval du roi.
- Tout est pour le mieux alors si vos désirs sont
comblés.
- Mon seul désir est de vous être agréable.
- Je n’en doute pas et vous en remercie.
Un temps.
Don José semble avoir fait le tour des banalités.
- A propos, êtes -vous satisfaite de l'indien que
je vous ai donné ?
- Ma foi, fort satisfaite. C'est un garçon
soigneux, attentif, fidèle et fort obéissant.
- Vraiment ? Vous avez bien de la chance. Je n'ai
jamais pu en dire autant.
- Il aura fini par comprendre vos enseignements et
sait désormais qui est le maître.
Don José
s'agite sur sa chaise.
- Et pourtant, si vous saviez comme les gens sont
médisants.
- Ce n'est pas grande nouvelle. Mais à quel propos
?
- Des folies, des extravagances.
- Sans doute. Mais encore ? Soyez plus précis.
- Écoutez un peu ces impertinents. On prétend que
vos rapports avec cet indien sont plus que privilégiés. Mais je me tais, je ne
veux pas en dire davantage.
- Au contraire. Vous en avez trop dit ou pas
assez. En quoi nos rapports seraient-ils "privilégiés » ?
- C'est folie, j'en conviens. Mais partout on
assure qu'une jeune veuve ne peut vivre chastement avec un homme jeune et
vigoureux.
Le visage
d'Ana se ferme.
- En clair, on m'accuse de forniquer avec lui.
Don José
hoche la tête.
- Et vous le croyez ?
Le
conquérant a un geste évasif.
- Je ne fais que vous rapporter ce qui se dit
partout.
- Je ne savais pas être ainsi au centre des
conversations tolédanes.
Elle
l'observe un instant. Derrière sa nonchalance, elle devine la fureur contenue.
Tant de calme de la part d'un seigneur castillan ne présage rien de bon. Puis
son visage s'éclaire.
- Ma foi, je ne pensai pas que cela se saurait si
vite.
Don José
tressaille.
- Comment ?
- Je croyais que le secret en serait mieux gardé
et je me demande d'où vient la fuite.
- C'est donc vrai ?
- Évidemment. Suis-je une nonne pour avoir fait vœu
de chasteté ? Vous savez comme la chair est faible. Et cela fait trois ans que
mon cher époux est mort. Je me languissais de caresses masculines. Alors, quand
j'ai vu ce bel indien, vigoureux et bien membré et sur qui j'ai, au fond, un
pouvoir total, je n'ai su résister. Comme j'ai déjà eu l'honneur de vous le
dire, il est discret, fidèle et très obéissant.
Don José la
regarde fixement.
- Vous ne parlez pas sérieusement ?
- Très sérieusement, proteste Ana. Et je vous
avoue qu'il y a dans ses étreintes un je ne sais quoi d'exotique qui me
transporte. On nous a vanté la lascivité des indiennes. Les indiens ne sont pas
en reste, je vous l'assure. Et puis, le grand avantage c'est qu'il vit sous mon
toit. Ainsi, sans sortir de chez moi et à l'abri des regards indiscrets - du
moins le croyais -je - je peux assouvir mes désirs à n'importe quelle heure du
jour et de la nuit. Il ne dit jamais non et pour cause ! Que vous êtes bon de
me l'avoir donné ! Et quel plaisir d'avoir sous la main un esclave docile et
savant ! Enfin, quand je dis sous la main, je m'entends.
Elle lance
à Don José un sourire mutin qui le fait frémir. Le conquérant défait l'agrafe
de son pourpoint et la contemple, incrédule, partagé entre la stupeur et la
rage. Sa voix était tranchante.
- Je n'ose vous croire.
- Et pourquoi non puisque toute la ville en parle
?
- Je ne vous aurai jamais cru capable de cela.
- Et maintenant en êtes vous persuadé ou voulez -vous
de nouveaux détails ? J'en ai beaucoup à votre disposition et tous plus
croustillants les uns que les autres.
Don José
sue à grosses gouttes et la regarde, fasciné.
- Je ne sais plus que penser.
- Dans ce cas, ne comptez pas sur moi pour vous
éclairer. Croyez ce que vous voulez, mon
ami, vous êtes parfaitement libre.
- Et vous osez me le dire en face ?
Ana se dresse d'un bond.
- Et vous osez m’accuser ?
Don José fronce les sourcils.
- Comme votre ton est vif ! Seriez-vous fâchée ?
- Fâchée, moi ! Et pourquoi serai-je fâchée ?
Pensez vous que cela me fâche qu'on me croie capable des pires turpitudes ?
Pensez vous que je me fâche de votre manque de confiance ? Allons donc, ce sont
des vétilles et j'aurai le plus grand tort du monde d'en être fâchée.
Embarrassé,
Don José tente de l'apaiser.
- Je n'ai jamais accordé foi à de tels ragots mais
vous connaissez le proverbe : la femme de César ne doit même pas être
suspectée.
- Je ne suis pas votre femme et vous n'êtes pas
César. Je pensai que vous me connaissiez mieux et j'espérai être à l'abri de ce
genre de scènes. Heureusement que vous n'accordez pas foi à de tels ragots !
- Comprenez-moi...
- Je ne veux pas vous comprendre. Mais à qui
croyez -vous donc avoir affaire ? A l'une de ces femmes que vous culbutez dans
les villes prises ? Ou à celles qui vous apportent le repos du guerrier ? Vous
n'êtes pas rue des Armes, ici !
Elle s'est
levée, vibrante de colère.
- Acceptez mes excuses, Doña Ana. Je ne voulais
pas vous offenser.
- Des excuses, pour quoi faire ? Pour vous
permettre de m'insulter au prochain ragot ?
- Je ne les écouterai plus, je vous le promets.
- Vous aurez tort. La prochaine fois, on ajoutera
de nouveaux détails. Je suis sûre que certains m'auront vue dans ses bras ou
m'auront entendue lui murmurer des mots tendres.
- Cessez, je vous prie, je me rends. Jamais plus
je ne croirai quiconque à ce sujet. Mais j'étais jaloux.
- Jaloux ! Vous ! Et d'un indien !
Son ton est
si méprisant qu'il en sourit.
- J'étais fou, je le reconnais. Me pardonnez-vous
?
Il lui
prend la main. Elle la lui laisse. Puis son visage et se yeux se font plus
doux. Enfin, elle lui sourit. Et ce sourire est si enjôleur qu'il sent fondre
ses derniers doutes et se traite d'imbécile. Il la salue profondément et prend
congé, la joie au cœur. A peine s'est-il éloigné que la porte du cabinet voisin
s'ouvre. Domingo, Isabel et Pedro n'ont pas perdu une miette du spectacle.
- Du grand art, affirme l'indien, tu es
redoutable.
- Cette fois, on a la paix pour un moment. N’empêche ;
j'avais du mal à ne pas rire.
- Espérons
que tu dis vrai, soupire Isabel.
Pedro
attire Ana à lui.
- Alors, comme ça, mes étreintes sont exotiques ?
Il
l'embrasse et tous se mettent à rire.
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