A SUIVRE Le Voyage à l\'envers

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CHAPITRE 100 Une nouvelle amie

CHAPITRE 100 Une nouvelle amie

Pedro a grand mal à s'empêcher de rire.

- Je vois la scène d’ici. Elle n’a pas changé.

- Ah ça non, elle est incorrigible. Tiens, nous descendions sur Séville justement. Imagine un peu la scène.  Ce soir- là, la plus grande auberge de Puertollano est bondée : les marchands de drap discutent affaires et foires, les voyageurs se délassent devant le feu, Doña Ana Maria de Santa Cruz déguste les spécialités locales. Le voyage se déroule très bien. Rien n’a été laissé au hasard : quand nous ne profitions pas des innombrables propriétés du marquis, nous  descendions dans les meilleures auberges ;! Voilà qui la changeait du voyage plein d’embûches et d’inconfort vers Saint Jacques de Compostelle.  Elle reste un instant pensive : malgré tout, elle garde un souvenir attendri de ce voyage accompli avec son père et qui lui permit de rencontrer son mari. Tout à coup, des cris l’arrachent à sa rêverie.

- Vous êtes des ânes ! Des ânes bâtés que je vais atteler à mes chariots !

Au même instant, une porte claque et des valets dévalent l’escalier, la mine déconfite. Des personnages plus graves les suivent, l’air penaud.

- Que se passe--t- il ? demande l’aubergiste.

L’un des valets hausse les épaules.

- C’est madame la duchesse de Medina Sidonia  Elle s’est démis le bras et ses médecins n’arrivent pas à la soulager. Alors, forcément, tout le monde prend.

L’aubergiste hoche la tête.

- Grande dame qui souffre n’a pas beaucoup de patience.

  - Déjà, en temps ordinaire, ce n’est pas triste, soupire le plus âgé des valets Mais alors là...

Ana s’approche.

- Elle s’est démis le bras, répéte –-t-elle.

Le valet lui jette un regard las.

- Oui. Elle venait de descendre de cheval pour se dégourdir les jambes. Elle a trébuché sur une pierre, est tombée et s’est mal reçue. Depuis son épaule la fait terriblement souffrir. Mais on n’y peut rien.

- Je peux peut -être essayer.

- Ana, ne vas pas te mêler de ce qui ne te regarde pas, ai-je protesté Doña Isabel.

- Si quelqu'un souffre, cela me regarde, réplique vivement Ana.

- Tu es incorrigible ! Et insupportable !

Sans prêter attention à mes plaintes, Ana interroge les valets.

- Si votre maîtresse y consent, je peux tenter de la soigner.

Le valet lui jette un regard soupçonneux, partagé entre crainte et espoir.

  - Vous sauriez ?

- Mon père était médecin.

- Après tout, pourquoi pas ? Je vais lui en parler.

Peu de temps après, il est de retour.

- Sa Grâce vous attend.

Il s’abstient de rapporter les véritables paroles de la duchesse. «J’accepterai même le Diable : il doit être moins idiot que vous !» Ana gravit l’escalier et se trouve bientôt face à la duchesse geignante et allongée sur son lit. Un instant, Ana maudit ses réflexes : la duchesse de Mendoza est la seconde dame du royaume après la reine et son mécontentement pourrait lui coûter cher. Elle s’approche du lit.

- Vous êtes médecin, m’a-t- on dit ?

- Pas exactement. Mon père était médecin et je l’ai souvent aidé.

- Et vous pensez pouvoir me soulager ?

- J’aimerais essayer.

- Et bien n’hésitez pas. J’ai tellement mal que je me vendrais au Diable !

Ana sourit, s’assoit au bord du lit et palpe longuement le bras malade.

- Je vois ce que c’est. Respirez à fond. Je vais peut - être vous faire mal.

La duchesse acquiesce et ferme les yeux. D’un mouvement rapide et précis, Ana manipule le bras. Un bruit sec. Un hurlement.

  - C’est-ce que vous appelez soigner, petite misérable !

Ana reste très calme.

- Si Votre Grâce veut bien essayer de remuer le bras.

Tout en maugréant, la duchesse obéit. Petit à petit, son visage s’éclaire.

- Mais ... Je peux à nouveau le bouger ! Et sans douleur ! Ou presque.

Elle regarde Ana.

- Vous êtes une magicienne.

Ana secoue la tête.

- Il n’y a aucune magie là - dedans. Votre bras était démis. Je l’ai tout simplement remis.

- Et modeste avec ça !

La duchesse s’est dressée sur son séant et fait bouger son bras avec un plaisir évident.

- Je comprends la joie de Votre Grâce, affirme Ana, mais évitez tout de même de trop utiliser votre bras. Il est encore traumatisé et il suffirait d’un rien pour que la douleur revienne.

- A Dieu ne plaise, s’exclame la duchesse. Je suivrai vos conseils.  Mais puis j’au moins savoir le nom d’un si habile médecin ?

- Je m’appelle Ana Maria de Santa Cruz y Villaneja. Vous connaissez peut-être mon parrain : le marquis de Montemayor.

- Le marquis de Montemayor ! Que ne le disiez-vous tout de suite ! Je connais très bien le marquis et il parle souvent de vous. Mais que fautes vous à Puertollano ?

- Je fais route vers Séville où je dois assister au mariage du roi.

- Quelle coïncidence ! J’y vais aussi. Pourquoi ne pas faire route ensemble ?  Sait-on jamais ? Je puis encore avoir besoin de vous.

- Tout le plaisir sera pour moi, affirme Ana en se levant.

- Comptez sur ma reconnaissance éternelle. Je sais bien qu’avec l’appui du marquis, vous ne manquez de rien mais croyez bien que si je puis un jour vous être agréable, je n’y manquerais pas. »

- C'est tout ? demande Pedro

Isabel réprime avec peine un bâillement.

- J'en aurai encore beaucoup à dire mais je vais te laisser. Je ne tiens plus debout.

Elle désigne un pot sur la table de chevet.

- Si elle se réveille, donne-lui ça.

Pedro acquiesce.

- Ne crains rien.

Isabel hoche la tête et, bâillement après bâillement, va se coucher.

Pedro installe sa chaise plus prés de la malade, l’observe attentivement et plonge dans ses souvenirs. Il se revoit petit garçon, malade ou blessé comme cette fois où il s'était cassé une jambe dans la forêt et s'était fabriqué des béquilles pour rentrer. Il n'avait consenti à s'effondrer que dans les bras de sa grand mère. Et cette autre fois encore... Sa grand - mère ...

Un souvenir ancien affleura à sa mémoire comme une bulle de bonheur. Il devait avoir ou neuf ans et cette nuit - là, le sommeil tardait à venir. Après s’être tourné et retourné dans son lit, il se leva sans faire de bruit pour ne pas réveiller ses frères et sœurs, poussa la porte avec précaution, la referma de même et trottina jusqu’au pavillon proche où dormait sa grand mère. Il poussa tout doucement la porte et se dirigea vers la chambre.

Il l'appela à mi  -voix.

- Grand -mère ...

Pas de réponse. Il répéta :

- Grand - mère ...

L'interpellée se dressa sur un coude, le vit et sourit.

- Qu'est-ce qu'il y a, mon colibri ?

- J'arrive pas à dormir.

 L'aïeule sourit.

- Allez, grimpe.

 Il ne se le fit pas dire deux fois et se blottit contre sa grand - mère.

- Tu as des soucis ? demanda--t- elle tendrement en lui caressant les cheveux.

Il soupira avant de répondre.

- C'est les petits. Ca va pas très bien à l'école.

- Et c'est toi qui -t-'en occupes, évidemment.

Il haussa légèrement les épaules.

- Il faut bien. Papa est tellement occupé.

Il soupira derechef.

- Heureusement que tu es là pour leur expliquer, reprit elle

- Justement. Je ne suis pas sûr de bien y arriver.

- Et moi, je suis sûre du contraire.

Il la regarda, plein d'espoir.

- Tu crois ?

- Bien sûr. Tout ce que tu fais est bien fait.

Il savoura le compliment comme un fruit mûr, battit des paupières, se blottit encore plus douillettement et, dans un souffle :                                                                                                                

- Grand - mère, quand je serais grand, je me marierais avec toi.

Elle serra encore plus tendrement le petit corps abandonné et promit.

- Je vais essayer de rester libre. "

 

Le jour pointe. Isabel est déjà à la cuisine. Il est seul avec la malade. Elle s'agite et il sort de sa rêverie. Elle ouvre les yeux, le reconnaît et a un sourire d'enfant. Comme elle semble fragile... Cette nuit, en dormant, elle avait pris et gardé la main brune de l'indien. Il se dégage en souriant.

- Tu as soif ?

Elle hoche la tête et se redresse un peu. Il l'aide à boire. Elle passe une main sur son front.

- J'ai mal à la tête. Que s’est-il passé ?

- Tu as pris froid. Il pleut. Très fort.

Elle s'enfonce un peu plus sous les couvertures.

- Oui, j'ai froid. Tellement froid.

- C'est la fièvre.

Elle parait s'assoupir mais tout à coup, elle se redresse d'un bond.

- Et Valeriano ? Dis- moi, où est- il ?

Pedro hésite.

- Tu l'as laissé à l'hôpital.

Elle fronce les sourcils pour se souvenir.

- Je me rappelle : il est mort. Il est mort, le pauvre petit. Comme les autres. Comme tous les autres.

Elle claque des dents. Il rajoute une couverture et tire les rideaux. Le soleil envahit la pièce.

- Lui aussi était mort. Cette nuit, il était sous la plaine divine et le voilà. Toutes les lunes, toutes les années, tous les vents atteignent leur achèvement et passent, continue -t- il sans cesser de regarder le soleil.

Il reste un instant pensif puis revient vers Ana.

- Autrefois, dit on chez moi, les dieux descendirent dans une grotte. Ils y trouvèrent un prince étendu avec la princesse nommée Fleur Précieuse. De leur union naquit un enfant dieu appelé le Bien Aimé. Mais il mourut aussitôt et fut enterré.

Ana l'écoute avec passion.

- Sur sa tombe poussèrent de nombreuses plantes. Sa chevelure produisit du coton, ses oreilles des plantes qui portent des graines ; ses narines une herbe fébrifuge, ses doigts des patates douces ; ses ongles du maïs et ainsi de suite jusqu'à ce qu'il ait produit mille variétés de fruits et de plantes. Le dieu vent comprit donc que l'homme peut jouir des fruits de la terre mais que cela ne lui suffit pas : il lui faut encore l'amour.

La malade est tout à fait calme, apaisée, presque souriante. Elle a repris la main de l'indien

- Tu es resté là toute la nuit ?

- Isabel n'en pouvait plus. Je l'ai envoyée se coucher.

Ana sourit. Mais tout à coup, les yeux bleus se font suppliants.

- Pedro, dis-moi que je ne porte pas malheur.

L'indien hausse les épaules.

- Quelle idée ! Si c'était vrai, tu rendrais malheureux tous ceux qui -t-'approchent. Et c'est loin d'être le cas. Très loin.

- Tu crois ?

Il sourit.

- Je suis bien placé pour le savoir.

Un peu rassurée, elle reprend

- Pourtant, tous ces morts autour de moi...

Pedro se rembrunit.

- Ma mère aussi a vu mourir presque toute sa famille du côté de son père. Elle a failli devenir folle. Je m'en souviens bien. J'avais dix ans.

- Que s'est il passé ?

- Ma mère est aztèque.

- Mon Dieu ! s'exclama Ana en lui lâchant la main.

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02/05/2009
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